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#rentrée2020 : « Le Théâtre 14 n’a jamais vendu autant de places qu’avec le Paris OFF » (M. Touzé)

Par Thomas Corlin | Le | Lieux, résidences, locaux de répétition

Comment la culture prépare-t-elle sa rentrée 2020 alors que persistent les incertitudes autour de la crise de la Covid-19 ? Culture Matin interroge différents acteurs du secteur au fil de l’été. Aujourd’hui, Mathieu Touzé, co-directeur du Théâtre 14 à Paris, qui a maintenu une programmation jusqu’en juillet, dont un festival complet, le Paris OFF Festival.

Le premier spectacle après le confinement, une création de Johanny Bert © Christophe Raynaud de Rage - © Christophe Raynaud de Lage Christophe Raynaud de Lage
Le premier spectacle après le confinement, une création de Johanny Bert © Christophe Raynaud de Rage - © Christophe Raynaud de Lage Christophe Raynaud de Lage

Peu de temps après le confinement, le Théâtre 14 a repris ses activités en montrant plusieurs spectacles adaptés aux conditions sanitaires. Comment s’est mise en place cette programmation d’urgence ? 

Nous avons commencé à réfléchir à ce qui restait faisable dans le théâtre avant même le confinement. Le calcul a été vite fait : une réduction de jauge de 192 à 100 places demeure économiquement viable pour une petite structure subventionnée comme la nôtre, qui emploie 5 CDI, dont 3 à temps plein. Nos tutelles nous ont instantanément suivi, en adaptant leurs subventions à la crise, dans des délais extrêmement rapides. 

Nous avons été très pointilleux sur le protocole parce qu’il nous semblait clair que le public ne viendrait que s’il se sentait vraiment en sécurité.

Concernant le protocole sanitaire, nous l’avons étudié de près. Étant également avocat, j’ai proposé une interprétation des ordonnances, j’en ai tiré des notes que j’ai soumises aux pouvoirs publics, qui m’ont donné leur autorisation. Les mesures que nous nous sommes imposées dans un premier temps étaient encore plus rigides que celles que recommandait l’État, mais par la suite nous sommes arrivés à nous détendre progressivement sur cette question. 

Nous avons été très pointilleux sur le protocole parce qu’il nous semblait clair que le public ne viendrait que s’il se sentait vraiment en sécurité. Contrairement aux cinémas, les théâtres ont la capacité de travailler l’accueil avec un personnel dédié, et cela fait toute la différence dans le contexte actuel. Nous avons donc commandé 20 000 masques, des litres de gel, revu tout le schéma de circulation, les évacuations, etc. Le plus souvent, le public gardait le masque pendant les spectacles, en plus de la distanciation de rigueur. 

Il était crucial de pouvoir montrer cet été le travail de jeunes compagnies à des programmateurs et à la presse.

Dans un premier temps, nous nous en sommes tenus à 10 personnes dans la salle, équipe plateau incluse. Au tout début, d’ailleurs, nous n’étions pas sûrs de pouvoir ouvrir, mais nous nous sommes lancés malgré tout. Puis nous sommes passés à 25 personnes par salle, et désormais à un siège sur deux. Le premier spectacle présenté fut Elle Pas Princesse, Lui Pas Héros, une création jeune public que Johanny Bert a réadapté en six jours, avec le public sur scène et les comédiens dans la salle. Le spectacle était joué trois fois par jour, et nous avons tout de suite eu du public et beaucoup de demandes.

De là est venue l’idée du Paris OFF Festival en juillet, pour rattraper autant que possible l’annulation du Off à Avignon ? 

Pour les compagnies qui n’ont pas forcément suivi le parcours classique de l’apprentissage théâtral (école, conservatoire, etc), se faire repérer est impossible sans le Off d’Avignon. Par exemple, je n’aurais jamais émergé si Avignon n’existait pas. Il était donc crucial de pouvoir montrer cet été le travail de jeunes compagnies à des programmateurs et à la presse. La situation est très grave, certaines compagnies ont tout perdu, la reprise est toujours vague et s’annonce laborieuse, l’énergie n’est pas toujours tout à fait là… Il nous a donc semblé urgent de contribuer à l’effort collectif dans ce contexte. 

Mathieu Touzé - © D.R.
Mathieu Touzé - © D.R.

Paris OFF s’est organisé très vite. La veille du lancement, les tickets ont été mis en vente, la programmation a été bouclée tout juste une semaine avant, nous ne savions même pas si nous disposerions de la deuxième salle. Nous avons organisé le calendrier de façon à ce que le public ou les programmateurs puissent tout voir en deux jours. Une attachée de presse a fait un travail colossal pour communiquer sur l’événement et faire venir des médias. 

250 tickets se sont vendus chaque jour, on a fait plus que l’équivalent d’une Cour d’Honneur (plus grand lieu de spectacle au festival d’Avignon). Jamais le Théâtre 14 n’a vendu autant de tickets aussi rapidement. Des journalistes de théâtre travaillant pour de gros médias ont pu voir les créations de petites compagnies qui ont généralement du mal à inviter la presse. Nous avons aussi constitué un petit espace « village du festival », qui a rencontré un franc succès. 

Comment se passe le retour du public au théâtre ?

Des familles sont venues avec leurs enfants, même pour voir autre chose que du spectacle jeune public.

Contre toute attente, cette ouverture en période de crise a été une expérience très positive en matière de développement du public, alors même que nous ne l’avions pas placé dans nos priorités en cette période. Étant un des seuls établissements publics ouverts à proposer de l’animation dans le quartier de la Porte de Vanves, nous avons capté pendant cette période un public local qui ne mettait généralement pas les pieds au théâtre. 

Certains quartiers de cette partie de Paris sont défavorisés, des familles entières avaient besoin d’un espace où se livrer à des activités, et c’est ainsi que le Théâtre 14 s’est retrouvé à répondre à une urgence sociale. Des familles sont venues avec leurs enfants, même pour voir autre chose que du spectacle jeune public. Nous avions appliqué des tarifs libres et solidaires, de façon à ce que chacun paye ce qu’il peut. 

Le Village de Paris Off au Théâtre 14 - © D.R.
Le Village de Paris Off au Théâtre 14 - © D.R.

Le soir du 14 Juillet, il y a quelques dégradations dans le quartier. Nous nous attendions à ce que le village du festival soit ravagé, mais cela n’a pas été le cas, personne n’avait rien touché, à notre grande surprise. 

Comment abordez vous la rentrée ?

Nous avons mis sur pied une programmation jusqu’en décembre.

Nous sommes plutôt positifs, nous avons plusieurs scénarios à suivre selon la situation sanitaire. Nous avons mis sur pied une programmation jusqu’en décembre, et nous voudrions autant que possible développer des partenariats avec d’autres structures pour faire des échanges de programmation. Il y a par exemple un chanteur de l’Opéra de Paris qui cherche un lieu pour faire un solo qui n’est pas adapté à Garnier ou Bastille, et nous aimerions l’accueillir.