Production

#rentrée2020 : « Hors de question d’annuler nos créations ! » (M. Rankov, Bouffes du Nord)

Par Thomas Corlin | Le | Lieux, résidences, locaux de répétition

Comment la culture prépare-t-elle sa rentrée 2020 alors que persistent les incertitudes autour de la crise de la Covid-19 ? Culture Matin interroge différents acteurs du secteur au fil de l’été. Aujourd’hui, Marko Rankov, responsable de production et de diffusion au Théâtre des Bouffes du Nord (Paris 10e).

Le Théâtre des Bouffes du Nord.  - © TOP P.Tourneboeuf/Tendance Floue
Le Théâtre des Bouffes du Nord. - © TOP P.Tourneboeuf/Tendance Floue

Comment vos spectacles « maison », produits au sein des Bouffes du Nord, ont-ils été affectés ?

Il faut d’abord garder à l’esprit que notre activité de production est centrale dans notre économie, à hauteur de 85 % de nos ressources propres, donc bien plus que l’accueil de spectacles extérieurs. Ainsi nos créations se doivent de tourner pour que l’on conserve notre équilibre. 

L’indemnisation de certaines dates ne recouvre que le coût plateau, à savoir la technique et les comédiens. Rien ne vient alors compenser l’investissement sur la production.

Sur 8 productions, une centaine de dates ont été annulées dans 57 villes. En termes de contrats, j’ai compté 39 reports, 11 annulations indemnisées, 7 annulations sèches. Certaines tournées s’étaient extrêmement bien vendues, comme la seconde série de dates de La Mouche de Christian Hecq et Valérie Lesort, qui a été primée aux Molières. Une autre tournée, celle d'Andando de Daniel San Pedro avec Camelia Jordana, n’a connu qu’une seule date, en huis clos à Bayonne le 13 mars, et a été ainsi privée de son exploitation. Nous avions aussi organisé une tournée d’un spectacle de Peter Brook, avec des dates à l’étranger, annulées sans indemnisation.

L’indemnisation de certaines dates ne recouvre que le coût plateau, à savoir la technique et les comédiens. Rien ne vient alors compenser l’investissement sur la production, et donc tous ceux qui ont travaillé dessus. Pour le producteur qui n’a pu amortir la production de son spectacle avec une tournée, c’est un déficit énorme. 

Nous avons privilégié les reports. Sur le budget, on s’en sort, mais sur la trésorerie ça fait très mal. On estime nos pertes pour l’instant à 700 000 € sur 2020, une fois intégrés les divers amortisseurs (chômage partiel, indemnités versées par des villes, etc). Néanmoins, nous avons eu des signaux rassurants de la part du Ministère. 

Jouer en jauge partielle est impossible économiquement.

Les répétitions ont repris, dans des conditions sanitaires très strictes. La responsabilité de leur application peut mener l’employeur jusqu’au pénal. Maintenant, mettre des masques et garder une distanciation est incompatible avec l’activité des comédiens.

Comment se relancent les créations ?

Nous n’avons abandonné aucune création en cours ni à venir, c’était hors de question. Les répétitions pour la comédie-ballet de Michel Fau autour de George Dandin de Molière ont repris, un décor avait déjà été créé à Athènes juste avant le confinement, les costumes aussi avaient été lancés. Il en va de même pour celles qui avaient été prévues sur 2020 et 2021 : Igor Mendjisky, Tiago Rodriguez, Aurelien Bory et Denis Podalydes, Peter Brook, sont tous maintenus. 

Quelle est la stratégie pour aborder la rentrée ?

Marko Rankov, directeur de production des Bouffes du Nord. - © D.R.
Marko Rankov, directeur de production des Bouffes du Nord. - © D.R.

On relance une saison normalement, même si nous n’avons pas imprimé notre brochure habituelle. On part du principe qu’on pourra jouer en jauges complètes, et que le public sera au rendez-vous. La billetterie est importante pour une structure comme la nôtre, jouer en jauge partielle est impossible économiquement. 

On voit apparaître, ça et là, sur les contrats de session de nos spectacles en tournée, des « clauses Covid ». Elles stipulent que si les restrictions sanitaires imposent d’ici là des demi-jauges, il y a soit report, soit annulation sans frais. Puisque la force majeure n’est plus en vigueur, tout le monde se couvre. Ce n’est pas tenable de notre côté : nous avons des engagements contractuels avec les artistes et on ne peut pas inclure des clauses de caducité qu’on nous impose dans les contrats de cession. Ça serait illégal et on ne sait pas encore si le mécanisme de chômage partiel sera étendu pour des représentations annulées du fait de jauges réduites. Si ce n’est pas le cas, la situation pourrait s’avérer encore pire que la crise que nous avons vécus jusque là.