Tiers lieux : à Mulhouse, la Scène nationale s’ouvre aux associations un dimanche par mois
Par Thomas Corlin | Le | Lieux, résidences, locaux de répétition
À Mulhouse (Haut-Rhin), le théâtre La Filature poursuit sa démarche d’ouverture vers d’autres publics en proposant un tiers-lieu programmé par des associations un dimanche par mois. Malgré de nombreux retards dus à la pandémie, son directeur Benoit André y projette une façon de repositionner le lieu comme équipement à la fois culturel et social.
Comment ce projet de tiers lieu se déploie-t-il au sein de la Filature et quels moyens engagez-vous ?
La Filature est déjà un équipement hybride : en plus de notre salle de 1 216 places et d’une autre de 364 places, le lieu abrite aussi une galerie d’exposition et une médiathèque. Cette cohabitation en fait donc déjà un lieu ouvert toute la journée en semaine. À cela s’ajoutent deux Micro-Folies, une située dans notre hall, une autre nomade qui nous permet de faire circuler une petite programmation, principalement des rencontres. Enfin, nous accueillons déjà des associations pour des séances de pratiques douces comme le yoga, à l’image du Lieu Unique à Nantes, dont je m’étais inspiré.
Pour l’instant, c’est la Filature qui prend en charge la programmation des premiers dimanches. Puis nous délèguerons la programmation à d’autres entités associatives.
Ce tiers-lieu prendra d’abord la forme d’une ouverture mensuelle, à raison d’un dimanche par mois, pour inciter des associations à programmer elles-mêmes des événements chez nous. Nous ne disposons pas d’espaces dédiés à ce projet pour l’instant, il s’agit de mettre à disposition d’associations ceux que nous utilisons déjà quotidiennement. Nos espaces extérieurs sont également sous-exploités, nous disposons par exemple d’un bassin qui rend le cadre assez agréable et pourrait accueillir d’autres activités.
Pour l’instant, c’est la Filature qui prend en charge la programmation des premiers dimanches. Il s’agit jusque là de concerts de musique de chambre suivis d’un brunch et d’ateliers. Par la suite, nous délèguerons la programmation à d’autres entités associatives qui proposeront leurs propres activités. Proposer de la musique de chambre est cohérent pour le lieu, qui collabore souvent avec le monde du classique (notamment avec l’Orchestre Symphonique de Mulhouse), mais il faudra s’ouvrir à d’autres esthétiques à l’avenir, les musiques savantes pouvant être vue comme excluante.
Nous avons recruté une médiatrice des espaces publics, qui dispose également d’un bagage technique de régie pour répondre à des besoins sommaires des associations accueillies. Elle sera en charge de traiter leurs demandes, de coordonner les activités et d’animer ces dimanches en leur présence. En plus de cette ressource humaine et de la mise à disposition du lieu, nous pouvons assurer la billetterie pour les associations, s’il y a lieu, et la sécurité de l’événement.
Qu’est-ce qui a motivé cette démarche ?
Nous aimerions que la Filature ne soit pas essentiellement perçue comme une institution culturelle, mais également sociale.
Il est crucial pour un lieu comme la Filature de diversifier ses publics. Une des façons de le faire est de multiplier les partenariats avec d’autres structures, d’autres champs culturels ou sociaux. Cette politique du partenariat m’est très chère, je la mettais déjà en pratique lorsque je pilotais le festival Automne en Normandie, et elle me semble être, pour un lieu culturel, la clef d’une ouverture sur d’autres segments de la société. Mulhouse a une démographie particulière, avec un quartier prospère, le Rebberg (quartier de province le plus riche de France, d’après l’Observatoire des Inégalités en 2021, NDLR), situé sur une colline, mais dont les habitants se rendent régulièrement chez nous, et un centre plus populaire, qui n’est pas familier de notre lieu.
À travers ce tiers lieu, nous visons les acteurs du champ social, comme l’association Le Squart, ou d’autres personnes très investies dans le tissu associatif, dont une qui devait faire le lien mais se retrouve hélas empêchée par un Covid long - et ce n’est ici qu’une des mille façons dont la pandémie a freiné ce projet. Malgré la crise de ces deux années, nous avons recueilli le soutien de la municipalité, l’adjointe à la Culture et l’adjointe chargée des affaires sociales sont très sensibles à notre démarche.
Quels sont les autres axes pour concrétiser cette ouverture sur d’autres publics ?
Nous aimerions que la Filature ne soit pas essentiellement perçue comme une institution culturelle, mais également sociale. Il faut donc qu’elle soit un lieu de passage et de rencontre. Nous réhabilitons le cinéma de 98 places que nous abritons, la salle Jean Besse, que nous pourrons utiliser comme salle de projection mais aussi comme petite salle de concert, et nous travaillons à l’ouverture d’un restaurant, qui appartenait au projet de base à l’ouverture du lieu en 1993, mais n’a jamais abouti. Nous l’imaginons sur le modèle très convivial des stammtisch à l’allemande, et projetons de le coupler avec un projet de réinsertion professionnelle.
Témoignez-vous d’une perte de fréquentation comme d’autres lieux de culture depuis la reprise ?
Nous avons été le premier lieu culturel de France à fermer, puisque l’épidémie a débuté en France à Mulhouse lors d’un rassemblement évangélique, dix jours avant sa propagation dans le pays. J’ai moi-même pris mes fonctions deux mois avant la crise. Nous observons une courbe étonnante depuis la reprise : le public revenait progressivement jusqu’en février et, curieusement, alors même que passe vaccinal et masques ont été abandonnés, nous observons une chute. Les deux seules dates qui ont rencontré un vrai succès sont des concerts, dont celui de Sofiane Pamart, pianiste qui a la particularité de croiser les publics, notamment celui de la sphère rap.