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ESS : quels enjeux pour les structures culturelles ?

Par Thomas Corlin | Le | Lieux, résidences, locaux de répétition

Nouveaux contrats, compagnonnages, mise en coopérative : comment la sphère culturelle peut-être travailler en harmonie avec l’économie sociale et solidaire ? Marie Morvan du Labo de l’ESS propose quelques pistes déjà expérimentées dans la filière.

À Saint-Ouen, Mains d’Œuvres est déjà engagé dans l’ESS. - © D.R.
À Saint-Ouen, Mains d’Œuvres est déjà engagé dans l’ESS. - © D.R.

Quels sont les axes identifiés pour que les mondes de la culture et de l’économie sociale et solidaire se rapprochent ?

La SCIC est un mode de fonctionnement où la gouvernance multipartite, pouvant inclure associations, salariés, habitants et collectivités locales, rapproche l’occupation d’un espace des usages qu’on peut en faire.

Les structures culturelles remplissent souvent des missions d’intérêt général dans la mesure où ces dernières rendent effectifs l’accessibilité de tous à la culture et les droits culturels, en proposant par ailleurs des projets suscitant une participation active des publics. Et il est à noter qu’entre le modèle accessible à « tout public » et le modèle marchand à but lucratif, il existe une 3e voie, celle d’une économie culturelle sociale et solidaire. Le Labo de l’ESS a identifié plusieurs pistes d’actions thématiques visant à faciliter le rapprochement entre culture et économie sociale et solidaire : consolider et créer des lieux pour les entreprises culturelles sociales et solidaires, accompagner et former les porteurs de projets, développer la coopération entre opérateurs culturels et adapter les modèles économiques et les outils de financement des entreprises culturelles.

Concernant les lieux, quels modes de gestion peuvent davantage correspondre à l’ESS ? 

La pression immobilière est une question délicate. Elle peut donner lieu à des litiges avec les municipalités dans le cas de rachat d’espaces par des promoteurs immobiliers. De l’immobilier vacant, il y en a, et il est possible de l’occuper de manière responsable en constituant un maillage culturel d’intérêt collectif, notamment par le foncier citoyen. La réhabilitation des friches industrielles et l’occupation temporaire représentent aujourd’hui des leviers essentiels de la participation citoyenne et de la dynamisation des territoires, urbains, ruraux et périphériques. La Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), avec son mode de fonctionnement où sa gouvernance multipartite, pouvant inclure associations, salariés, habitants, collectivités locales, représente une forme juridique particulièrement adaptée au portage des projets culturels et solidaires de territoire. À Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), le tiers-lieu culturel Mains d’Œuvres s’organise par exemple autour d’une SCIC intitulée La Main 9.3.0, réunissant comme sociétaires d’autres entités comme l’artist-run space le Wonder.

Le modèle de l’appel à projets est également remis en cause. Quelles sont les alternatives à disposition ? 

Les acteurs de la culture sont généralement habitués à la procédure de l’appel à projets, mode d’accès dominant à des soutiens divers. Or, ce fonctionnement est souvent jugé comme particulièrement chronophage et débouche souvent sur une mise en concurrence entre porteurs de projets. C’est ainsi que les soutiens de nature plus pérenne, avec des objectifs fixés sur le moyen ou long terme, s’avèrent davantage adaptés à la réalité des projets et des contraintes des acteurs. A titre d’exemple, le Contrat de Relance et de Transition Écologique, mis en application en 2021, offre un nouveau cadre contractuel : d’une durée de 6 ans, il intègre des enjeux sociaux et environnementaux, et,  optimisant leur lisibilité, il regroupe différents types d’appels à projets tels que les Petites Villes de Demain, ou Action Cœur de Ville. Ce nouveau mode opératoire entre Etat et collectivités peut donc être inspirant pour d’autres types d’acteurs.

Au niveau des compétences, comment les structures peuvent-elles s’entraider ? 

C’est notamment un des rôles de l’association Opale. Au Labo de l’ESS nous encourageons les échanges de compétences entre paires, le compagnonnage, les transferts de savoir-faire et les visites apprenantes, formes de transmission alternatives qu’Opale peut déjà proposer. C’est l’occasion d’échanger sur les modèles économiques. Certes, le tout-public se raréfie, mais il y a des alternatives au tout-marchand. Les travaux que nous avons pu mener sur le lien entre la culture et l’économie sociale et solidaire mettent en avant des initiatives inspirantes ainsi que des lignes de forces et voies d’action pour le secteur.

Quel est le rôle d’une entité comme le Labo de l’ESS pour le secteur culturel ? 

Le Labo de l’ESS, think-tank dédié à l’économie sociale et solidaire (ESS), existe depuis 2010 et vise à promouvoir une autre manière d’entreprendre à travers des études thématiques et des travaux collectifs, démontrant la diversité des secteurs couverts par l’ESS : pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), agriculture & alimentation durables, mesure d’impact & création de valeur, accès à une santé de qualité et de proximité… L’équipe est entourée de bénévoles qui sont des experts et professionnels des sujets abordés, permettant ainsi de valoriser les voies d’action identifiées au plus haut niveau. A travers ses publications, rencontres, courriers aux autorités concernées, le Labo de l’ESS contribue à la mise en exergue des enjeux et solutions pour un secteur culturel social et solidaire.