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Smac : après un « covid long », Rock & Chanson (Talence, Gironde) plus que jamais ancré au territoire

Par Thomas Corlin | Le | Diffusion, booking

Licenciement économique, re-définition du projet… À Talence (Gironde), Rock et Chanson a mordu la poussière pendant la crise, mais se relance avec une formule peu commune pour une Smac, concentrée sur son rôle de proximité et sa fonction pédagogique. Sa directrice Delphine Tissot raconte deux ans de perturbation et une reprise en lien fort avec son territoire.

La première édition de Jardins Sonores, en 2021. - © Nina Bourgeois
La première édition de Jardins Sonores, en 2021. - © Nina Bourgeois

Sous quelle forme s’investit Rock & Chanson dans son territoire ?

Il faut tout d’abord situer notre lieu, et la nature de son projet. Talence est une banlieue de Bordeaux et c’est un « quartier politique de la Ville », socialement défavorisé et très observé par l’État. Il est à la fois dans un écrin de silence et de verdure (face à un château appartenant à la Ville et utilisé comme espace de loisir réservé aux séniors), mais aussi dans un paysage social complexe (une énorme cité où logent 4 000 personnes). En un sens, le projet du lieu est imposé par le territoire dans lequel il est posé, il ne peut qu’être défini en fonction de la population locale. 

La teneur de notre projet est définie par le territoire dans lequel il se déploie.

De fait, c’est une des rares Smac remplissant aussi scrupuleusement son cahier des charges, particulièrement en matière d’action socio-culturelle. Nous sommes avant tout une école de musique, avec huit studios de répétition, un studio d’enregistrement et, bien sûr, une salle de concert d’une jauge de 160 places debout. L’activité pédagogique nous amène à être ouvert six jours sur sept, de 8h à minuit, et nous assure une grande proximité avec les habitants, de 3 à 90 ans. Ce volet de notre activité, majeur dans notre cas, s’est relancé récemment. Nous n’accusons qu’une perte post-crise de 10 % de nos élèves, principalement grâce à notre travail de maintien en visio. 

Plusieurs dispositifs et événements sont aussi pensés en ce sens. Expérimentation financée par la DRAC, Get Lucky incite les jeunes du quartier à venir développer un projet musical dans nos murs, du plus anecdotique au plus ambitieux. Les Rencontres Buissonnières sont des résidences artistiques participatives, où il est arrivé que les mères du quartier participent à une performance sonore en faisant de la cuisine. Nous encadrons aussi une chorale de Français Langue Étrangère dans un centre social. 

Nous sommes en contact avec toutes les instances citoyennes locales, du conseil communal à la cellule de veille pour la sécurité des habitants, et nous organisons également la fête de quartier, le barbecue d’Halloween ou le carnaval qui réunit 3 000 personnes.

Au milieu de toutes ces activités, comment axez-vous votre programmation ?

Nous n’avons pas d’injonction sur le remplissage et ne sommes pas sommés de suivre la même ligne que la plupart des Smac.

Notre enveloppe dédiée est dérisoire : 20 000 euros par saison, censés couvrir tous les frais. Rock et Chanson propose trois concerts par mois, dont beaucoup sont réalisés en partenariat avec des associations ou des structures de développement d’artistes. Nous programmons de façon collégiale, à l’issue d’échanges entre les membres de notre équipe, et nous essayons autant que possible d’intégrer les adhérents de notre association dans le processus via un comité. Par ailleurs, la région bordelaise dispose de trois autres Smac qui programment plus abondamment. Nous n’avons pas d’injonction sur le remplissage et ne sommes pas sommés de suivre la même ligne que la plupart des Smac (notre jauge ne nous le permet pas), nous disposons donc d’une certaine liberté de ce côté-là. 

Nous conservons cependant des temps forts de diffusion, comme le mini-festival gratuit en plein air les Jardins Sonores, dont la première édition l’an dernier a réuni un public varié autour d’une programmation éclectique au possible, s’étalant de la pop au r’n’b en passant par les musiques d’avant-garde. Nous le réitérons les 9 et 10 juillet, avec une résidence d’artistes en amont. 

En quel état le lieu est-il sorti de la crise ? 

Deux mois avant la pandémie en 2020, j’ai pris la direction du lieu dans un état critique. Certes ouvert depuis 35 ans, celui-ci n’était pas identifié par les gens du quartier et traînait déjà un déficit de 100 000 euros depuis cinq ans, qui a empiré avec la fermeture forcée de son école et de ses studios. L’équipe allait mal, le projet devait être entièrement repensé et le covid nous bouchait toute perspective. 

Nous avons alors eu recours à un licenciement économique en 2021, débouchant sur le renouvellement d’un tiers de l’équipe - qui comprend une quinzaine de personnes, dont huit exclusivement sur la partie pédagogique. Depuis, les aides publiques et la solidarité de certains acteurs, du moins d’autres structures de petite taille comme la nôtre, nous ont permis de traverser cet épisode douloureux et de nous relancer.