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Musiques actuelles : comment s’engager dans l’ESS ?

Par Thomas Corlin | Le | Organisations et réseaux professionnels

Statuts, développement local, réseaux, circuit court : quel rôle peuvent jouer les acteurs de la sphère musicale dans l’Économie Sociale et Solidaire ? Directeur du Réseau des Indépendants de la Musique (RIM), Florent Teulé fait l’inventaire des pratiques en vigueur et propose quelques exemples.

À Talence, la salle Rock & Chanson a travaillé sur son développement local. - © D.R.
À Talence, la salle Rock & Chanson a travaillé sur son développement local. - © D.R.

La filière musicale n’a jamais autant parlé d’ESS que depuis la crise. Cette prise de conscience est-elle récente ? 

Objectivement, oui, le sujet revient davantage dans les discussions entre les acteurs de ce champ. Il existe même désormais une revendication à cet endroit : tout d’abord auprès des professionnels, et auprès du public - pas nécessairement sous la forme de l’ESS, encore peu identifiée dans le débat public, mais en mettant en avant le caractère associatif d’une entité. 

Pour autant, le RIM travaille depuis une vingtaine d’années sur ces questions, des réseaux se sont constitués autour de ces axes et ont intégré des opérateurs de la sphère musicale, comme les Chambres Régionales de l’Économie Sociale et Solidaire (CRESS). En Poitou-Charente, vers 2013, un Projet de Pôle Territorial de Coopération Économique avait été mis en place et il était centré autour de la musique. 

Le premier axe d’engagement dans l’ESS est statutaire. Quels sont les modèles en vigueur ? 

Des structures se sont établies comme Société Coopérative (Scop) ou en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (Scic), qui sont des statuts juridiques en harmonie avec l’ESS. Il y a un vrai mouvement vers ces modèles. 

Il faut cependant signaler que l’ESS n’est pas nécessairement affaire de statut et que toutes les formes de structures peuvent s’y engager. Il n’y a pas d’un côté les « gentilles associations » et, de l’autre, les « méchantes SARL ». L’ESS peut imprégner les méthodes de travail de tous les types d’entité. 

À ce titre, nous pouvons citer les labels indépendants, qui sont juridiquement cantonnés à un statut de SARL du fait de leur activité phonographique mais intègrent les recommandations de l’ESS dans leur fonctionnement interne : réduction des écarts de salaire, neutralisation des profits, autres gouvernances, etc. 

Économiquement, quelles actions peuvent être engagées ? 

Des fonds de trésorerie solidaire ont été mis en place parmi nos adhérents qui en ont la possibilité. Il s’agit de structures disposant de fonds dormants (sur un compte épargne par exemple), qui les prêtent à d’autres qui en auraient besoin pour lancer leur activité, ou autre. La pratique est en soi courageuse. 

En Nouvelle-Aquitaine, l’AGEC, un groupement d’employeurs réunissant 110 structures, a permis à beaucoup d’entre elles de traverser dignement la pandémie, notamment grâce à de la mutualisation d’emplois. 

En matière de diffusion, existe-t-il aussi des pratiques en accord avec l’ESS ?

Il n’y a pas d’un côté les « gentilles associations » et les « méchantes SARL » : tout le monde peut s’investir dans l’ESS.

En région Aquitaine encore, le RIM a lancé le Rayon, un réseau de distribution alternatif de disques physiques dans une trentaine de points de vente, y compris des librairies. Cela répond à la fois à un enjeu économique, celui de vendre du disque, à la mise en valeur d’une création artistique locale, mais aussi à la constitution d’un maillage commercial de proximité - dans certaines zones rurales, Amazon ne doit pas être le seul fournisseur à portée de main du public en matière d’achat culturel. 

Un autre projet, Bâbord, est porté par une coopération entre plusieurs acteurs, notamment autour de KiéKi Musique, et favorise la diffusion de la création régionale. Il est financé par le Contrat de filière « musique et variété », dans le cadre d’un appel à projets pour la coopération.

En terme de politique, quel est l’impact des préceptes de l’ESS ? 

Nous faisons du lobbying, mais pas que. Nous œuvrons à la co-construction des politiques publiques en matière de culture. Les contrats de filière, qui font l’objet de beaucoup de rencontres actuellement, sont l’aboutissement d’une recherche que nous menons depuis 2015. Par ailleurs, les divers dispositifs expérimentés en collaboration avec le CNM, les DRAC ou les DREAL, font parfois l’objet de subventions.

L’idée aujourd’hui est de considérer que la culture n’est pas qu’un fait artistique, mais un fait sociétal. À partir de là, il n’est plus question de l’enfermer dans les financements fléchés vers la culture, mais de l’intégrer aux projets portant sur le tourisme ou le développement durable. Pour ce faire, les acteurs de la musique doivent penser hors de leur microcosme, et entrer en contact avec de nouveaux partenaires, qu’ils peuvent rencontrer via nos réseaux. 

Dans les musiques actuelles, quels sont les structures qui se sont engagés dans l’ESS ? 

De nombreuses SMAC se sont investies. Nous pouvons penser à Des Lendemains Qui Chantent à Tulle (Corrèze), qui agit dans le développement territorial et la responsabilité sociale des organisations, à Rock & Chanson à Talence (Gironde), ou à la Nef à Angoulême (Charente).