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Contrats : quelles « clauses Covid » pour le spectacle ? Artcena répond

Par Thomas Corlin | Le | Législation, réglementation

Très sollicité depuis la pandémie, le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre (Artcena) met à disposition gratuitement ses ressources juridiques. Elles sont le fruit d’un travail de fond pour aider le secteur à prévoir des contrats adaptés à cette période de crise, selon Xavier Schmitt, chargé de l’information juridique.

Artcena fournit les clefs rédactionnelles pour la rédaction de contrats fiables. - © Artcena
Artcena fournit les clefs rédactionnelles pour la rédaction de contrats fiables. - © Artcena

Qu’inscrire dans un contrat pour que compagnies et structures d’accueil se répartissent équitablement les  risques encourus en programmant un spectacle dans les conditions actuelles ? 

Tout est faisable dans un contrat, tout peut y être inscrit - dans la limite de ce qui est permis par la loi, naturellement. Seul un juge peut en dénoncer une clause si il détermine qu’elle est manifestement déséquilibrée - pour donner un exemple extrême, il n’est pas possible d’exiger 1 million d’euros en cas de problème sur une voiture qui en vaut 10 000. Cela laisse donc beaucoup d’espace pour envisager tous les risques possibles et s’accorder sur une solution pour chacun d’entre eux. 

Tous les points bloquants sont à prendre en compte, et pas seulement l’annulation : que se passe-t-il si un membre de la compagnie est contaminé ?

Après des mois d’échange avec le secteur, après nous être concertés avec les syndicats, nous avons recensé tous les points de vigilance à connaître lors de la négociation et de la rédaction, qui peuvent figurer dans un contrat, selon les spécificités de chaque champ artistique. Les réalités d’un spectacle de rue, d’une pièce de théâtre, ou d’un concert (nous avons également collaboré avec le secteur musical) ne sont pas les mêmes, et il n’existe donc pas de clauses types ou de contrats types. 

Parmi les solutions trouvées sur le terrain, il y a la possibilité de faire changer la nature de la collaboration entre lieu et compagnie si les risques encourus (en cas de modification de jauge par exemple) et les sommes perdues sont trop importantes. Par delà un certain montant de pertes, un contrat de location classique peut donc se transformer en co-réalisation, permettant un meilleur partage des risques, mais cela reste à la marge. 

Pour éviter une annulation totale et anticiper un report, il est possible de faire figurer des dates de remplacement sur le contrat, et ainsi engager un lieu à sa re-programmation. Nous avons également vu des contrats stipulant que le spectacle pouvait avoir lieu sous une forme réduite, adaptée, en cas de nouvelles restrictions.

Tous les points bloquants sont à prendre en compte, pas seulement l’annulation : que se passe-t-il si un membre de la compagnie, par exemple un comédien, est contaminé ? Ou si le montage et démontage d’un spectacle sont compliqués voire empêchés par les protocoles sanitaires ? Ou si un nouveau couvre-feu est imposé ? Toutes ces choses doivent désormais être anticipées pour apparaître dans les contrats. 

Concernant les indemnisations post-annulation, il n’est pas systématique que les contrats engagent les parties sur des pourcentages ou des sommes. Néanmoins, les lieux qui l’ont fait (le gouvernement les y incite) peuvent stipuler que cette indemnisation est subordonnée au versement de leurs subventions, pour ne pas mettre en danger leur équilibre financier. 

Quelles situations de conflits ont émergé depuis mars 2020 ? 

Par chance, le spectacle vivant n’est pas le domaine le plus concurrentiel qui soit - nous ne sommes pas dans la finance par exemple. Des rapports de force existent cependant, et, bien que l’ensemble des professionnels du secteur soient durement touchés par la crise ce sont souvent les lieux de diffusion qui, par leur capacité économique, se retrouvent dans une position favorable - même si certaines compagnies peuvent inverser la balance par leur notoriété. Certaines structures réputées rigides ont ainsi fait passer pendant la crise des contrats intransigeants, qui ont été signalés. Néanmoins, de nombreux lieux de diffusion, secteur privé et public inclus, ont fait preuve de solidarité vis à vis des compagnies.

De façon générale, nous prônons la pédagogie, le dialogue, pour faire comprendre à chaque partie sa situation économique, sa réalité. Il faut garder en tête que contre quelqu’un de plus fort que soi économiquement, il y a toujours la possibilité de ne pas signer. Une clause qui fait porter tout ou la majorité des risques à une partie est abusive. 

Une clause qui fait porter tout ou la majorité des risques à une partie est abusive. 

Nous avons à cœur de faire comprendre aux personnes qui nous sollicitent qu’un contrat doit toujours être le fruit d’une discussion, d’un dialogue et un outil commun pour une collaboration fructueuse, quand bien même l’une des parties serait plus forte économiquement et souhaiterait imposer son contrat. 

La force majeure a-t-elle joué un rôle ? 

La reconnaissance d’un cas de force majeure relève de l’appréciation des juges. Lorsque rien n’était indiqué au contrat, il convenait de se poser la question : la Covid-consitue t-elle un cas de force majeure ? Si pour les contrats signés avant la pandémie, elle était envisageable, il semble plus difficile aujourd’hui de reconnaître le caractère imprévisible, nécessaire à sa mise en œuvre. En revanche, il est toujours possible d’insérer une clause dans le contrat considérant la covid comme étant un événement de force majeure.

Comment Artcena s’est organisé pour faire face aux demandes ? 

Dès le déconfinement, tout le secteur a eu un grand besoin d’éclairage auquel nous avons dû faire face. Le Ministère de la Culture nous a sollicité en tant que cellule d’écoute. Pour répondre à la forte demande des professionnels du secteur du théâtre, du cirque et des arts de la rue, nous avons décidé de remplacer notre une permanence juridique téléphonique bi-hebdomadaire par une permanence continue par mail et téléphone. Nous avons dédié une rubrique entière à la Covid sur notre site. Nous nous sommes mis en partenariat avec les agences culturelles afin d’organiser en commun des webinaires. 

Logo d’Artcena Juridique.  - © D.R.
Logo d’Artcena Juridique. - © D.R.

Artcena propose deux services d’informations juridiques en ligne : un premier qui est une entrée en matière sur toutes les problématiques touchant au secteur, qui s’adresse à des structures jeunes cherchant à se lancer, ou à d’autres qui n’ont pas d’administrateur dédié, et il a toujours été en accès libre. Le deuxième est un véritable arsenal juridique qui s’adresse aux structures plus professionnelles : il réunit 180 études poussées, propose des modèles de contrats, des formulaires, etc. Il était disponible sur abonnement mais nous l’avons rendu gratuit, notamment pour faire face aux nombreuses demandes du secteur en cette période difficile. 

Comment s’assurer que les termes d’un contrat soient fiables ?

Nous donnons des canevas pour composer ses propres clauses, mais nous ne rédigeons pas les contrats nous-mêmes, ni ne proposons de clauses toutes faites. Il faut écrire le plus clairement, précisément et simplement possible afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté et que toutes les parties soient bien en harmonie avec ce qui est inscrit. Il faut toujours s’assurer d’avoir bien compris l’intégralité des termes du contrat, et éviter les termes trop vagues ou au contraire trop restrictifs : par exemple, « si un décret vient à fermer le lieu… » n’est pas assez englobant, il faut lui préférer « toute décision administrative venant à fermer le théâtre… », qui inclut arrêté, décret, etc. 

Il y a autant de contrats qu’il y a de situations, et chacun doit composer son propre document.

En dehors de la crise, nous avons connu des situations délicates dues à des ambiguïtés dans les termes. Le minimum garanti dans un contrat de co-réalisation signifie que le partage en 50/50 des recettes se fait au delà d’une certaine somme. En définissant ce minimum à 1 000 euros, et en imaginant que les recettes s’élèvent à 1 200 euros, s’agit-il de partager 200 euros ou 1 200 euros ? Il ne faut donc rien laisser au hasard. 

L’idée n’est pas de reprendre des clauses toute faites, car cela aboutit à l’effet inverse de ce que nous souhaitons. Quand les textes sont déjà prêts, les gens ne les lisent plus ou, s’ils les lisent et les trouvent trop techniques, en concluent que c’est important et les reproduisent dans leurs contrats sans les comprendre véritablement. Il y a en réalité autant de contrats que de situations, et chacun doit composer son propre document. Notre objectif est que les professionnels soient assez armés pour composer des contrats solides et équitables. Il y a quelques mois, nous voyions régulièrement des clauses succinctes et pré-faites, qui désormais sont plus structurées et plus précises. C’est encourageant.