« Par chance, nous dépendons moins des aides qu’il y a 10 ans » (Y. Matray, InFiné)
Par Thomas Corlin | Le | Subventions, mécénat, aides
L’arrêt de la Cours de Justice de l’Union Européenne concernant les droits voisins non répartissables entraîne une baisse conséquente d’aides à la création musicale en France. Cofondateur du label InFiné, Yannick Matray décrit l’impact qu’il pourrait avoir sur les activités du label, dans un contexte de crise déjà complexe.
Comment l’arrêt de la CJUE pourrait-il affecter les projets à venir du label ?
Nous touchons des aides à la production du Fonds pour la Création Musicale (désormais rattaché au Centre National de la Musique), de l'Adami et la SCPP. Ces aides sont concernées, ainsi nous devrions connaître une baisse de 14 % de notre chiffre d’affaire. Nécessairement, cela se ressentira sur les prises de risque dans les projets que nous sélectionnons.
Pour d’autres labels, cela peut monter jusqu’à 40 %, donc nous sommes relativement épargnés. Nous dépendions davantage d’aides et de subventions il y a dix ans, aujourd’hui cela représente environ 18 % de notre chiffre d’affaires. Tous nos projets ne font pas l’objet d’une demande de subvention et nos ressources proviennent principalement de l’édition et des ressources propres du label. Nous bénéficions aussi depuis trois ans du crédit d’impôt, une mesure qui a soulagé beaucoup de producteurs de musique.
Cela se ressentira sur les prises de risque dans les projets que nous sélectionnons.
Parmi les organismes touchés par cet arrêt, la SCPP déploie tous ses efforts pour trouver des alternatives, puise dans ses réserves financières et n’a pas gelé les nouvelles demandes d’aide. Des solutions sont actuellement en cours d’élaboration pour leur budget 2021.
En revanche, ce qui inquiète le plus le secteur, c’est la rétroactivité sur 5 ans d’aides que pourrait imposer l’arrêt de la CJUE. Les syndicats montent au créneau sur cet aspect du dossier. La nouvelle en soi était déjà assez accablante dans le contexte de la crise. J’étais moi-même incrédule, le secteur ne l’avait pas vu venir, mais une rétroactivité dépasserait les pires prédictions.
Les labels et la production discographique ne sont pas les plus affectés par la crise actuelle. Pour autant, avez-vous dû ajuster votre activité ?
Tout le monde chez InFiné est resté à temps plein, nous n’avons pas eu recours au chômage partiel. Nous avons également signé des artistes en 2020, des signatures qui étaient prévues. Il s’agit de garder une dynamique, on ne peut pas tout arrêter.
Nous avons pu sortir la moitié des disques programmés cette année.
Nous avons cependant décalé notre calendrier de sorties et ne sortons pas d’album au second semestre 2020. Le premier semestre était moins critique qu’on ne l’aurait cru, puisque nous avons pu sortir tous les disques programmés sur cette période. Avec tous les projets décalés sur 2021, l’année prochaine devrait être l’année la plus chargée de l’histoire du label - mais les années les plus riches en sorties ne sont pas toujours les meilleures ! Nous avons également sollicité l’un des fonds de soutien liés à la crise, celui que le CNM a attribué aux labels l’été dernier.
Comme tout le monde, notre chiffre d’affaires est évidemment touché, et ce n’est pas une bonne année - même si ce n’est pas comparable avec le secteur du live. Heureusement, les revenus du streaming limitent un peu les dégâts. Nous soutenons aussi beaucoup nos artistes, dont tous n’ont pas la chance d’être intermittents, ni même de résider en France. Certains sont entre deux albums et leur situation est très délicate.