La Spedidam gèle les futures demandes d’aide après l’arrêt de la CJUE sur les droits voisins
Par Thomas Corlin | Le | Subventions, mécénat, aides
30 millions d’euros d’aide à la création sont menacés par un jugement de la Cour de justice de l’Union européenne privant les organismes de gestion collective des droits non répartissables correspondant à des phonogrammes américains. Parmi ceux-ci, la Société de Perception et de Distribution des Droits des Artistes-Interprètes (Spedidam), qui gère les droits voisins en musique et spectacle vivant, est contrainte de suspendre le traitement de futures demandes d’aide. Son gérant Guillaume Damerval et le juriste Benoît Galopin partagent quelques précisions.
Quel est l’impact direct de la décision du 8 septembre de la CJUE sur les activités de la Spedidam ?
Guillaume Damerval : Nous traitons tous les dossiers déjà déposés et les aides engagées seront versées, les sommes sont déjà approvisionnées. En revanche, nous ne traiterons pas de nouveaux dossiers jusqu’à la fin de l’année.
Concrètement, cette décision provoquera une baisse de plus de 30 % des aides de la Spedidam. Pour donner une échelle de valeur, en 2019, avec 20 millions d’euros, nous avons aidé 2 300 structures employant 31 000 personnes pour 40 000 représentations. Les spectacles aidés sont d’ailleurs repérables par géolocalisation sur une application que nous venons de lancer.
Par exemple, au lieu de faire 15 représentations, une compagnie ne pourra plus en faire que 10.
Désormais, nous ne pourrons distribuer que 12 ou 13 millions d’euros. C’est à peu près la somme dont nous disposions il y a une dizaine d’années, mais à cette époque-là, nous recevions beaucoup moins de demandes d’aide.
Nous voulons à tout prix éviter de faire des coupes franches, c’est pourquoi nous n’allons pas « sacrifier » un secteur ou un autre. Nous continuerons d’aider, mais avec des capacités moindres. Cela peut vouloir dire qu’au lieu de faire 15 représentations, une compagnie ne pourra plus en faire que 10.
Cette décision est-elle révocable, et quelles sont ses conséquences sur le long terme ?
Benoit Galopin : Il n’y a pas de juridiction supérieure à la CJUE, nous ne disposons donc d’aucun recours pour remettre en cause cet arrêt. Une décision de ce type était attendue depuis juillet. L’avocat général de cette cour, qui est en fait un magistrat, avait déjà annoncé qu’il pencherait de ce côté-là, et la cour l’a suivi, ce qui est dans l’ordre habituel des choses.
Nous étudions désormais plusieurs aspects de cette décision. D’abord, s’il est possible d’établir l’exigence d’une réciprocité via un instrument juridique de droit de l’Union (en modifiant la directive, par exemple), comme y invite la Cour de justice elle-même dans son arrêt. Nous cherchons aussi à déterminer si cette décision s’applique de la même façon d’un pays à l’autre, puisque le litige dont elle découle s’est déroulé en Irlande.
Il s’agit de savoir si cette décision serait rétroactive
Enfin, il s’agit de savoir si cette décision serait rétroactive, ce qui aggraverait sérieusement son impact. Dans ce cas, il ne serait pas imaginable de retirer de l’argent déjà distribué à des compagnies. Il faudrait probablement récupérer l’argent sur les droits à venir.
Cette situation est particulièrement complexe, même pour des juristes spécialisés. Elle demande des analyses poussées, et nous ne pourrons y voir clair que d’ici un mois. Pour l’instant, nous avons publié un numéro de note magazine d’actualités sur l’avancée de la situation.