Scène conventionnée : le Théâtre du Cloître (Haute-Vienne) met la priorité sur les droits culturels
Par Thomas Corlin | Le | Médiation
En fonction depuis 2020, Thomas Desmaison a mis les droits culturels au centre du projet du Théâtre du Cloître à Bellac (Haute-Vienne). Co-programmation, action culturelle, cahier des charges : il décrit le programme qu’il a défendu auprès des tutelles, qui privilégie l’ancrage territorial sur les enjeux de diffusion.
Quelle a été la trajectoire du Théâtre du Cloître jusqu’à votre arrivée ?
Il s’agit d’une salle de 320 assis ou 700 debout, qui a été construite au début des années 2000 dans l’idée d’une grande salle polyvalente. Elle peut être aussi utilisée pour des projets associatifs, ou d’autres sans aucun rapport avec le projet de la scène, ce qui peut poser de nombreux problèmes - c’est un débat en interne.
Le Théâtre du Cloître est fortement lié au Festival National de Bellac, un événement référence au niveau de la région, rattaché à la personnalité de l’auteur Jean Giraudoux. Elle a le label de scène conventionnée d’intérêt national art et territoire, ce qui est plutôt rare dans un territoire aussi rural.
Elle a connu plusieurs directions : Philippe Cognet a créé l’équipe, développé les compétences et lancé le lieu, et Catherine Dété a développé un projet fédérateur autour des arts de la marionnette et de la transdisciplinarité - entre les deux, un projet avec une direction plus problématique a laissé des traces dans les équipes.
C’est aujourd’hui un bel équipement tenu par huit salariés, éloigné des lieux culturels ou de spectacle locaux, ce qui ouvre bien des possibilités pour développer des projets différents de ce qui se fait en ville.
Votre projet est totalement axé sur les droits culturels. Comment l’avez-vous défendu auprès des tutelles ?
J’ai postulé à la direction de ce théâtre avec un projet de 25 pages radicalement axé sur le référentiel des droits culturels. J’ai re-situé ce thème non pas comme une simple question de « droits culturels », mais d’intérêt général et de démocratisation culturelle, ce qui nécessite de reconsidérer entièrement le cahier des charges d’un équipement de ce type.
J’ai demandé aux tutelles de ne pas être regardantes, du moins dans un premier temps, sur la programmation et la fréquentation, et de ne pas me juger sur les résultats chiffrés. Elles m’ont fait confiance.
Ainsi, comment revisitez-vous les missions d’un lieu pour les adapter à ce référentiel ?
La programmation n’est plus ma priorité, la diffusion de grandes œuvres non plus, je l’assume. Je souhaite mettre l’action culturelle en avant, et non pas comme le dernier volet d’une collaboration avec des artistes invités. Trop souvent, cette mission est vue comme un supplément, « aussi, nous faisons ça », et non comme le point de départ d’une invitation à un artiste ou une compagnie. La culture n’est plus perçue comme émancipatrice aujourd’hui, mais comme dominante, et c’est en la positionnant dans un dialogue avec le théâtre, autre que celui de « l’attractivité vers le centre », que nous pourrons peut-être briser ce stigmate.
La programmation n’est plus ma priorité, la diffusion de grandes œuvres non plus.
Il s’agira aussi de concentrer la création et les résidences vers des compagnies régionales et d’aborder la programmation de façon participative. Les expériences se multiplient dans le domaine, et nous apprenons en menant la nôtre, via un comité de coprogrammation. Il peut y avoir une fatigue chez les participants, d’autant que le processus est long, demande des réunions toutes les trois semaines, et des réactions sur les dossiers artistiques - c’est beaucoup de volontariat. Et il ne s’agit pas seulement de diffuser le spectacle d’une compagnie, mais de proposer un projet qui priorise le rapport social au territoire.
Comment avez-vous pu lancer ce projet en pleine pandémie ?
Finalement, le Covid m’a donné du temps, en me détachant d’un certain nombre d’urgences, et m’a donné l’occasion de développer plusieurs projets. Nous avons par exemple pu travailler en réseau avec le territoire à l’occasion de la Semaine des Émancipations. Dans ce cadre, début mai, nous avons programmé huit rendez-vous artistiques et trois grandes rencontres - avec les journalistes, activistes ou universitaires David Dufresne (qui a hélas du annuler), Jacques Rancière ou Ovidie. Dans la salle de mariage d’Arnac-la-Poste, sur une initiative du théâtre, de l’université de Limoges et du réseau lecture, Jacques Rancière a échangé devant 100 personnes dont 80 habitants du village qui n’avaient jamais été exposés à ses recherches.
La reprise a cependant été paradoxale : nous avons du gérer un volume important de spectacles, alors même que nous lancions une expérimentation sur les droits humains.