Numérique, médiation : comment les Anooki font chanter les tableaux du musée des Beaux-arts de Lyon
Le | Plein air
À l’aide des nouvelles technologies, les créateurs des Anooki, Moetu Batlle et David Passegand, ont donné vie aux tableaux du musée des Beaux-arts de Lyon. Les deux artistes ont fait chanter les personnages des toiles lors de la dernière édition de la fête des Lumières le 14 décembre dernier. Ils nous expliquent comment s’est déroulé ce projet en collaboration avec le musée des beaux-arts de Lyon.
D’où vient l’idée de ce projet et comment l’avez-vous déployé avec le musée ?
Nous avons voulu créer quelque chose d’inédit en faisant chanter des tableaux. C’est une première mondiale.
Cela est partie d’une ambition commune avec le musée des Beaux-arts de Lyon : améliorer l’accès à la culture par des actions hors les murs originales. Nous avons travaillé avec le service iconographique qui a mis toutes les œuvres du musée à notre disposition en haute résolution. Nous avons refait une visite du musée en prenant en photo toutes les œuvres pertinentes pour notre projet. Les tableaux sont numérisés et accessibles au public depuis le site web du musée. Nous nous sommes dit qu’il fallait aller plus loin et pousser ce concept avec l’idée de projeter certains portraits en taille géante sur la place publique. Nous avons voulu créer quelque chose d’inédit en faisant chanter ces personnages, ce qui a donné lieu à une « chorale géante » avec des œuvres de musée. C’est une première mondiale.
D’un point de vue technique, comment avez-vous réussi à animer les personnages des tableaux ?
Nous avons utilisé la technologie du deepfake. Une intelligence artificielle anime des images fixes. Elle fonctionne sur des photos mais également des tableaux. Il y a beaucoup de discours anxiogènes autour de cette technologie. Le deepfake est utilisé comme générateur de texte automatique, notamment pour des outils comme ChatGPT. Ce sont des agents conversationnels ayant recours à l’intelligence artificielle. Il y a des critiques car un mauvais usage peut mener à des détournements ou des vols de travail d’auteur. Toutefois, le deepfake reste un outil technologique comme un autre. Il offre aux artistes et aux établissements culturels de nombreuses perspectives de création et de médiation.
En ce qui nous concerne, nous avons construit ce projet comme un mini-concert. Nous avons d’abord travaillé sur la bande son pour ensuite faire un playback vidéo sur lequel chantent les personnages des tableaux. Nous avons choisi des extraits de chansons qui parlent à tout le monde afin de capter une large audience. Plusieurs titres ont été inspirées par les œuvres du musée. À l’issue de notre première visite, nous savions par exemple que Gainsbourg ferait partie du medley car nous avions trouvé son sosie dans l’autoportrait de Simon Vouet de 1626.
Nous avions également suivi la démarche inverse, c’est-à-dire partir de chansons célèbres et choisir un portrait adapté parmi les œuvres du musée. Cela a par exemple été le cas avec Dalida et Alain Delon. Le titre Paroles, paroles fait partie de notre sélection. Alain Delon est représenté par le tableau du Duc d’Orléans, réalisé par Jean-Auguste-Dominique Ingres en 1842, et Dalida par le portrait de Miss Sweeting, réalisé par Thomas Lawrence en 1800.
Comment le public a-t-il réagi ?
La réalité d’un monde connecté via les nouvelles technologies, c’est également la restructuration de l’espace par des frontières repoussées.
La diffusion s’est déroulée sur la Place des Terreaux qui accueille en permanence entre 6000 et 7000 personnes. Quel que soit l’âge, l’engouement a été instantané auprès de l’ensemble du public. L’objectif a été atteint car beaucoup de gens disaient qu’il faudrait aller voir les œuvres au musée. Par le biais de ce mini concert, le public a pu s’amuser devant les portraits. En réalité une œuvre de musée appartient au bien commun. Le public peut se réapproprier une collection et désacraliser les choses par ce type d’action. Rendre la culture accessible à tous, notamment aux jeunes, c’est un peu le grand leitmotiv de tous les établissements culturels. Travailler l’accessibilité passe par le fait d’aller à la rencontre du public. Pour parler à la population, plus particulièrement aux jeunes, il faut aller où il se trouvent, donc sur leurs smartphones ou sur la place publique.
Pendant longtemps les musées se sont habitués à une culture sédentaire figée dans un lieu. À présent, la technologie facilite les actions hors les murs pour les établissements culturels. Nous parlons souvent de l’instantanéité qu’emmènent le numérique et internet. La réalité d’un monde connecté via les nouvelles technologies, c’est également la restructuration de l’espace par des frontières repoussées. Le recours à ce type d’outils ne nous conduit pas à renier les œuvres mais à les présenter sous un nouveau jour. Et l’une des retombées positives, c’est de voir que ces nouvelles technologies et ces nouveaux outils dont on se méfiait peuvent conduire le public vers un retour dans les musées.