« Les spectacles en extérieur circulent désormais sur le circuit généraliste » (J-S Steil, FAI-AR)
Par Thomas Corlin | Le | Plein air
La FAI-AR, unique organisme à former aux projets artistiques en espace public, ouvre les candidatures pour sa promotion 2021-2023 dans un contexte ambivalent pour les pratiques en extérieur.
Plébiscité par les lieux culturels suite aux complications sanitaires que connaissent les lieux clos, le plein air n’en demeure pas moins affecté par la crise actuelle. Le point avec Jean-Sébastien Steil, directeur de ce cursus situé à Marseille.
À quel moment du cycle de formation de la FAI-AR la crise est-elle intervenue ?
Le moment où nos apprentis présentent leurs travaux à des professionnels a été décalé de février à avril 2021, et se déploiera en public sur un grand festival en août 2021.
Nous étions en plein milieu du cycle 2019-2021, à la fin des enseignements fondamentaux et au passage à la pratique et au développement des projets des apprentis. Nous avons donc dû annuler les laboratoires d’expérimentation et de recherche artistique, une période cruciale de création en résidence. Tout ceci a été remplacé par des conférences, des cours en ligne, en avançant par exemple le travail sur la dramaturgie des projets à venir, mais il est difficile de rattraper le manque en expérience pratique.
Nous avons relancé pour l’occasion un projet de Mooc pédagogique initié en 2019, que nous n’avions pas prévu de reprendre si tôt. Nous avons donc tenu deux sessions d’un Mooc intitulé « Create In Public Space », à raison d’une dizaine de leçons par semaine. Chaque Mooc s’étalait sur quatre semaines à suivre sur une période de trois mois. Nous avons enregistré 2 500 inscriptions par Mooc. Cette expérience de travail à distance, mêlée désormais à du travail en présentiel, nous a incité à repenser notre façon de travailler sur le long terme. Nous pouvons disposer d’une variété d’interlocuteurs à distance et inviter des conférenciers de l’autre bout du monde.
Le Panorama des Chantiers, le moment où nos apprentis présentent leurs travaux à des professionnels, a également été transformé. Il a été décalé de février à avril 2021, et se déploiera en public sur un grand festival en août 2021.
Tous les lieux clos subissent de plein fouet les restrictions sanitaires, le plein air devient alors une alternative tentante pour le spectacle vivant. Comment cela s’est-il manifesté depuis le déconfinement ?
Les virus circulent malgré tout dans l’espace public, et c’est aussi un endroit qui incite à la circulation libre, aux foules, donc on n’y est pas forcément mieux loti que dans les salles fermées. Néanmoins, il offre une multitude de configurations différentes, de régulation des flux, de modalités de contact avec le public, et n’est pas forcément soumis aux logiques de rendement des jauges et de leur remplissage. Il se prête aussi bien aux grands événements qu’aux situations très intimistes, à jauge ultra-réduite.
C’est l’occasion d’une sensibilisation à ces pratiques et d’une circulation de ces formes entre différents réseaux.
Plusieurs scènes généralistes, des CDN ou des scènes nationales, se sont donc penchées sur les possibilités qu’offre l’extérieur. Souvent, ces lieux-là s’en tenaient à l’écart, par crainte que les démarches administratives et sécuritaires soient trop complexes, ou par souci d’amortir leurs salles, voire, dans certains cas, par méfiance envers l’éventuelle connotation « arts de rue » que leur inspire l’espace public et qui ne cadre pas a priori avec leur ligne artistique.
Il existe une vieille querelle entre les arts en espace public et le théâtre en salle, qui opposerait d’un côté une pratique militante et de l’autre un art « bourgeois ». Ainsi, certains acteurs des arts de rue ont été irrités par cet engouement soudain - et peut-être un peu naïf - du circuit traditionnel pour les spectacles en extérieur, qui furent par le passé souvent méprisés par celui-ci. Je pense plutôt que c’est l’occasion d’une sensibilisation à ces pratiques et d’une circulation de ces formes entre différents réseaux. Le réseau généraliste a l’opportunité de découvrir la grande variété de disciplines, d’esthétiques et de configurations scéniques qu’offrent les arts en espace public.
Comment se porte le secteur aujourd’hui ?
Il demeure totalement conditionné par la vie des festivals, qui ont presque tous été annulés, et le gros de son activité prend place normalement au printemps-été. Les festivals d’arts de la rue ont été assimilés à d’autres grands rassemblements où s’amassent les foules, comme les événements musicaux. Pourtant, si un festival comme Aurillac réunit effectivement plus de 5 000 personnes, c’est souvent par groupes de 100, 200 ou 300 personnes dans de nombreux spectacles différents.
Comme pour les autres branches du spectacle vivant, en plus du simple fait de ne pas avoir pu jouer en public, les compagnies n’ont pu présenter leurs travaux aux professionnels qui les auraient fait tourner. Pour rattraper tant que possible la situation, les festivals d’Aurillac et de Chalon vont organiser des rendez-vous cet automne qui réuniront programmateurs et public local.
Les grosses productions, qui réunissent de larges publics, sont les premières visées par les restrictions sanitaires.
Les compagnies les plus touchées sont celles qui sont considérées comme le fleuron du secteur parce qu’elles produisent des grands formats et rencontrent un vif succès. Elles sont doublement condamnées puisqu’elles travaillent beaucoup à l’étranger, et que les grosses productions, qui réunissent donc de larges publics, sont les premières visées par les restrictions sanitaires.
De belles initiatives ont malgré tout émergé cet été, autant de la part du circuit des arts en espace public que du généraliste. La Compagnie Ex Nihilo, qui est passée par la FAI-AR, a lancé un parcours d’art en Normandie, qui a mené à la découverte de tout un village et de ses habitants. Bonlieu Scène Nationale Annecy a transposé sa « Grande Balade », parcours de spectacles en espace urbain, dans la nature en pleine montagne. Pour autant, il n’y a pas eu beaucoup d’activité, et nous nous attendons à ce que les choses reprennent concrètement cet automne, à condition que la situation n’empire pas.
La nouvelle donne imposée par la crise sanitaire influe-t-elle sur le déroulé et le contenu de votre formation ?
Ironiquement, le cycle en cours reprend à la rentrée avec un laboratoire qui a pour thème « Vivre avec la catastrophe » - un thème inscrit au programme il y a deux ans. Cette crise, avec toutes ses spécificités et les peurs qu’elle remue, devrait normalement inspirer nos apprentis à travailler sur les dégâts symboliques, psychologiques, invisibles, qui ont été engendrés.
Quant au cycle à venir, nous y intégrerons bien sûr un chapitre sur les nouvelles mesures sanitaires, au niveau juridique comme administratif.
Nous attendons pour l’instant de voir si nous recevrons la même quantité de candidatures que pour les précédentes promotions. La vague de terrorisme avait déjà affecté les candidatures de 2016, et nous pouvons nous attendre à une nouvelle baisse. Pourtant, nous savons que nos candidats choisissent l’espace public par conviction artistique et non par opportunisme. Toutes les questions que pose l’instant présent sur ce qu’est l’espace public devraient normalement les inspirer et les pousser à nous proposer des projets d’autant plus étonnants.