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Régie : les directeurs techniques, référents Covid attitrés, témoignent de l’évolution du métier

Par Thomas Corlin | Le | Matériel

À l’occasion de leurs prochaines rencontres, le 8 octobre à la Cité de la Musique et à la Philharmonie (Paris 19e), le président de l’Association professionnelle des responsables techniques du spectacle vivant (Reditec), Jean-Jacques Monier, décrit les mutations de son métier et l’impact de la crise sur celui-ci.

Le Théâtre National de Strasbourg (Bas-Rhin) où Jean-Jacques Monier est directeur technique. - © Jean Louis Fernandez
Le Théâtre National de Strasbourg (Bas-Rhin) où Jean-Jacques Monier est directeur technique. - © Jean Louis Fernandez

Professionnellement, comment les directeurs techniques ont-ils été affectés par la crise ? 

Sur le circuit subventionné, ils sont restés en sécurité. Dans le privé cela a bien sûr été plus dur. Les réalités sont évidemment variables selon la taille des lieux et le type de contrat. Mais c’est sans conteste dans l’événementiel que la situation a été la plus grave. Plusieurs de nos adhérents dans ce cas de figure ont quitté le métier.

Dans ses missions, le poste de régisseur a-t-il été particulièrement sollicité ? 

Tout d’abord, il faut rappeler qu’en dehors du premier confinement, il n’y a pas eu d’arrêt d’activité pour nous - les résidences et les créations ont continué, des représentations ont eu lieu pour les professionnels, etc. À cela s’est rajouté la mission de référent Covid, pour laquelle les régisseurs ont été presque systématiquement désignés, comme cela a été le cas à Avignon. Je relève néanmoins que dans certains grands équipements, tels que le Théâtre National de Strasbourg où je travaille, ou la Cité de la Musique à Paris où se tiennent les rencontres de l’association, les directeurs techniques ne sont pas référents Covid.

Le régisseur est devenu le garant de la sécurité du lieu, au détriment de son travail scénique.

Lorsque la notion de sécurité intervient, c’est le directeur technique qui est considéré comme gardien du temple, ne serait-ce que du fait de sa connaissance de la salle. Je dispense moi-même des formations en prévention des risques. Le point est délicat : ces dernières années, plusieurs accidents ont lieu sur des sites d’événements (Palais des Congrès à Paris, montage du concert de Madonna à Marseille, d’autres cas à l’étranger), et dans chaque cas, c’est le directeur technique et le producteur qui ont été condamnés - parfois à de la prison. 

Les missions du Covid s’ajoutent à d’autres, qui transforment depuis quelques années notre métier en activité logistique plus que scénique. Nous avons dû appliquer le passage aux 35 heures, le plan Vigipirate suite aux attentats, la sécurité incendie quand les théâtres n’ont plus été équipés d’un pompier, etc. Il faut parfois faire comprendre à des équipes artistiques qu’il n’est plus envisageable d’installer des gens dans les escaliers, ou de boucher des issues de secours. Malgré cela, comme j’ai l’habitude de le dire, si nous devions toujours appliquer à la ligne les protocoles de sécurité et même le code du travail, nous ne ferions plus de spectacles. 

En termes de technique et de matériel, quelles sont les évolutions ? 

Le matériel et les pratiques se renouvellent toujours plus vite. L’image et le numérique occupent une place toujours plus importante dans les créations de la nouvelle génération. Et je ne parle même pas du livestream, puisqu’il faut rappeler qu’en fin de compte peu de théâtres en ont fait - Stanislas Nordey qui dirige le théâtre dans lequel je travaille, l’a refusé tout au long de la crise.

L’enjeu du moment est de faire entrer des pratiques écologiquement vertueuses dans nos habitudes.

L’enjeu du moment est de faire entrer des pratiques écologiquement vertueuses dans nos habitudes. La question des matériaux employés est centrale : il n’est plus recevable d’utiliser du bois exotique pour des décors ou d’utiliser des matières ignifugées chimiquement, même si nous n’avons parfois pas le choix. Il en va de même pour les transports, qui doivent se faire autant que possible en véhicule électrique. Reditec est très sensible à cette urgence, l’association a d’ailleurs participé à des rencontres sur le développement durable. Travailler de manière écoresponsable prendra du temps parce que cela nécessite de vrais investissements : cela a un coût, et nous n’avons pas encore de rallonge dans les subventions à ce sujet-là. 

Enfin, comment s’applique la parité entre femmes et hommes dans votre métier ? 

C’est aussi un défi sur le long terme, et les choses avancent, même si ça ne se voit pas encore. Lorsque j’ai commencé dans les années 80, il n’y avait tout simplement aucune femme en régie. Quand nous avons monté Reditec, il y en avait deux ou trois. Aujourd’hui, nous comptons 300 membres dont 30 % de femmes. 

Dans les promotions de la section régie de l’école du TNS, il y a de plus en plus de filles, et elle vont bientôt arriver sur le terrain - la balance se rééquilibrera alors. Je travaille d’ailleurs actuellement avec trois régisseuses intermittentes.