Production

Salle de concert : au Brin de Zinc (Chambéry), l’indépendance au prix d’une économie serrée

Par Thomas Corlin | Le | Lieux, résidences, locaux de répétition

Comment traverser la crise en tant que petite salle indépendante en région ? À Chambery (Savoie), le Brin de Zinc a retrouvé un rythme de croisière malgré sa fragilité économique et des effectifs fluctuants. Avec près de 300 concerts par an, son gérant Thomas Filachet envisage d’autres solutions, mais reste fidèle à son modèle sans subvention.

Samantha Martin & Delta Sugar en concert au Brin de Zinc. - © Reynald Reyland
Samantha Martin & Delta Sugar en concert au Brin de Zinc. - © Reynald Reyland

Quel est l’historique de la salle et dans quel territoire s’inscrit-elle ? 

Notre salle ne perçoit pas de subvention et fonctionne sur un accord de coréalisation sur chaque date entre les artistes et l’association qui gère le lieu : 80 % revient aux artistes, 20 % au Brin de Zinc.

Le lieu a dix-sept ans et j’en ai récupéré la gestion en 2015 auprès de son directeur qui nous en loue les murs. Le département ne compte pas de Smac, la plus proche étant dans le département d’à côté, le Brise Glace à Annecy. À Chambéry, La Soute, gérée par une école de musique, et la MJC programment ponctuellement, avec des jauges comparables à la nôtre. Deux autres lieux proposent aussi de la musique, sur des volumes bien plus conséquents, comme le Scarabée à 900 places, et le Phare, un mini-Zénith. Il y avait donc un besoin sur notre segment pour une ville comptant 60 000 habitants - nous rayonnons aussi sur une zone plus large, jusqu’à Grenoble par exemple.

Quelle sont sa jauge et son économie ?

La salle peut accueillir 180 personnes en comptant le staff et nous pouvons vendre 165 tickets. Notre salle est indépendante, ne perçoit pas de subvention et fonctionne sur un accord de coréalisation sur chaque date entre les artistes et l’association qui gère le lieu - 80 % aux artistes, 20 % au Brin de Zinc. Cela permet aux artistes de ne pas partir perdants et de partager les risques avec nous. La technique, la communication, la billetterie et le catering sont à notre charge. Les groupes internationaux font souvent leur équilibre économique sur le merchandising, les Français sont parfois aidés sur leur tournée par le Fonpeps. Par comparaison, certaines salles indépendantes appliquent des tarifs de location plus stricts, en faisant même payer les tickets-boissons - nous offrons quelques boissons aux artistes. 

La tarification varie selon les prétentions des groupes : de 4 à 8 € ou de 20 à 22 €, mais le plus souvent de 8 à 12 €. Nous comptons 200 abonnés. Nous programmons six à sept concerts par semaine et ne fermons que trois à cinq semaines par an - la salle voit passer près de 300 concerts par an. Le bar est une activité séparée et fait l’objet d’une entreprise propre. En été, nous louons aussi notre scène à des groupes qui veulent roder leur set ou réaliser une captation, à raison de 100 € la journée. 

Comment la programmation s’oriente-t-elle ?

Nous couvrons de nombreuses esthétiques que je situerais dans un champ alternatif : metal, électro, rock, pop, folk, etc. Plusieurs dates se font en partenariat avec des associations locales. Beaucoup d’internationaux passent par chez nous, nous sommes parfois leur seule date française du fait de notre proximité avec la Suisse et l’Italie. Je reçois près de 80 propositions de programmation par jour.

Avec quels moyens humains le lieu se gère-t-il et comment s’est-il maintenu à travers la crise ?

Le bar emploie un salarié à temps plein et l’association compte deux personnes à l’administratif et une au catering. Trois techniciens se relaient. L’accueil artiste et la billetterie sont gérés bénévolement. L’équipe tourne souvent, certaines personnes ne restent que temporairement dans la région. Côté effectifs, nous sommes constamment à flux tendu.

J’ai cessé de me payer depuis la crise, et espère reprendre le versement de mon salaire à partir du mois prochain.

Nous avions investi avant la crise dans un nouvel équipement de sonorisation, l’arrêt des concerts nous a donc inévitablement endetté. L’association a pu traverser cet épisode correctement puisqu’elle ne présente pas de coûts fixes, mais l’activité bar a plongé, à raison de 5 000 € de pertes par mois. Nous n’avons perçu que des aides transversales et non sectorielles, qui ont limité ce déséquilibre sans le résorber tout à fait. J’ai pour ma part cessé de me payer depuis la crise, pour éviter de creuser davantage la dette, et espère reprendre le versement de mon salaire à partir du mois prochain. En matière d’effectifs comme d’économie, j’espère que nous retrouverons une stabilité dans les six mois qui viennent - tout en sachant que des incertitudes planent encore sur l’automne prochain.

Il me semble que nous sommes moins exposés à la désertion du public que d’autres lieux, d’après les échos que j’en ai - certaines dates parviennent à remplir, les soirs les plus faibles réunissent une trentaine de personnes. 

Qu’est ce qui motive le choix d’un modèle indépendant aussi précaire ?

J’ai vu des lieux dépendre des subventions et je préfère nous éviter cela - la politique en matière de culture est très fluctuante dans notre région, cela nous évite de mauvaises surprises. Cependant, notre modèle est toujours à réinventer. J’ai eu vent de lieux fonctionnant sur un modèle similaire au nôtre qui ont mis la clef sous la porte pendant la crise. Au bout de six ans de gestion, je ne suis toujours pas serein, et je considère plusieurs évolutions. Nous avons rendez-vous avec le CNM pour finaliser notre affiliation. 

Nous nous essayons aussi à de l’action culturelle, une première a été menée par une salariée de l’association, à destination d’une classe de STMG, et a fait l’objet d’une subvention. Nous envisageons d’en mener davantage l’an prochain.