Production

Spectacle, art et clubbing : La Station (Paris 18e) double son espace et hybride sa programmation

Par Thomas Corlin | Le | Lieux, résidences, locaux de répétition

Installée depuis 2016 sur un site de SNCF Immobilier entretemps revendu à la Ville, la Station (Paris 18e) se dote d’un nouvel espace lui ouvrant d’autres horizons de programmation, par delà la musique. Cette extension s’inscrit dans la prolongation du projet de l’association MU sur cette zone appelée à se transformer d’ici les Jeux Olympiques de 2024, d’après son cofondateur Olivier Le Gal.

Les espaces extérieurs du nouveau bâtiment « Nord ». - © Gaelle Matata
Les espaces extérieurs du nouveau bâtiment « Nord ». - © Gaelle Matata

Quel est le projet autour de ce nouvel espace fraîchement inauguré ?

Il s’agit plus d’un renouvellement en soi que d’un simple élargissement de l’espace, en ce qu’il débouche sur de nouvelles possibilités de programmation, et nous permet d’élargir nos espaces de travail, y compris à de nouvelles fonctions. C’est un autre pavillon du site, que nous n’avions pas encore exploité jusque-là, plus linéaire dans sa structure que le bâtiment initial, réparti sur trois étages. Il s’étale sur 500 m² avec une belle hauteur sous plafond (qui permettait de la manutention de charbon via un rail au plafond), deux grandes portes et une grande mezzanine. Dans le paysage parisien des salles de concert, cette jauge de 720 personnes debout nous rapproche de volumes tels que le Trabendo (Paris 19e) et la Gaité Lyrique (Paris 3e). C’est aussi de nouveaux extérieurs qui se présentent au public, plus vastes que les précédents - nous avons d’ailleurs conservé les rails et les avons soulignés avec de la végétation. 

La programmation de la Station oscillera désormais entre les deux sites, selon la nature des propositions. La qualité de diffusion sonore du nouveau bâtiment est plus avantageuse, nous avons pu traiter l’acoustique, et pourrons donc accueillir une large programmation musicale dans des conditions techniques réellement adéquates. Ce nouveau lieu nous offre aussi de nouvelles opportunités de programmation, notamment du côté du spectacle vivant, de la performance et des arts plastiques. Nous avons déjà mené quelques expériences de ce type, entre autres avec la chorégraphe Gisèle Vienne, en amont de l’ouverture intégrale du lieu, et comptons les poursuivre. Depuis ses débuts, bien que la Station et notre ancien lieu (dans le 18e) n’aient accueilli pratiquement que de la musique, notre projet se veut transdisciplinaire, et notre référent historique à la Mairie de Paris est le Bureau des Arts Visuels.

En matière d’échanges avec la Ville, justement, jusqu’où s’étale votre présence sur ce site, une Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) déjà très occupée ?

Le projet a commencé en 2016 lorsque MU a remporté un appel à manifestation d’intérêt de SNCF Immobilier, qui portait alors sur une occupation de six mois ne permettant pas de remettre aux normes le bâtiment initial. À cette époque, le projet était essentiellement musical, nous misions sur une programmation intense, cinq jours par semaine, pour satisfaire notre public, qui ne visite le lieu que sur la promesse d’un contenu artistique bien défini. En 2017, notre bail a été reconduit six mois, puis un an, puis deux ans encore, toujours sous l’ombrelle de la SNCF. C’est à ce moment-là que nous avons pu investir l’intérieur du bâtiment sud. 

Nous disposons d’une visibilité d’un an et demi, pour l’instant.

En 2020, la Ville a racheté le site et permis la prolongation de notre activité. Nous nous trouvons donc sur une ZAC, qui accueillera l’Arena, l’un des nouveaux équipements sportifs construits à l’occasion des JO 2024. C’est aussi un projet de quartier, toujours en cours, élaboré au départ en concertation avec Plaine Commune (mais désormais par la Ville uniquement), qui abrite déjà au Nord des studios de télévision déjà actifs, mais qui laisse encore aujourd’hui quelques zones vacantes dont la nôtre. Des habitations devraient aussi voir le jour non loin, probablement après les Jeux Olympiques, ce qui pourrait poser des problèmes de voisinage et nécessiterait de nous isoler via un espace semi-abrité - ces questions sont encore en cours de discussion avec la Mairie. 

Pour l’instant, il a été convenu avec la société d’aménagement qui est notre propriétaire que nous serons présents jusqu’à fin 2022. Nous sommes sur le point de signer une reconduction d’un an à partir de fin décembre 2022, ce qui nous donne donc une visibilité d’un an et demi, jusqu’à nouvel ordre.

L’intérieur de la Station Nord - © Titouan Massé
L’intérieur de la Station Nord - © Titouan Massé

Sur quelle économie fonctionne le lieu ?

Nous avons touché plusieurs subventions au fil des étapes du projet. La Région a financé les travaux du premier bâtiment au titre de l’urbanisme transitoire, puis le Centre National de la Musique (alors encore CNV) nous a soutenus, fait rare pour un projet initialement éphémère. Le nouveau bâtiment a bénéficié d’un montage financier similaire. La DRAC nous suit sur des projets ponctuels, telle que la Station Flottante, ou sur l’Été Culturel pendant la crise, et la Ville de Paris et la Mairie du 18e arrondissement nous accompagnent régulièrement sur certaines actions. La Région et le Département ont également financé à hauteur de 80 000 euros « Air de Repos », un espace d’assistance psychologique à l’adresse des réfugiés animé par le Coucou Crew. Nous faisons aussi partie des premières « Fabriques de Territoires », soutenues par l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires. Nous étions d’ailleurs une des rares à se situer à Paris, et la seule avec La Friche Belle de Mai (Bouches-du-Rhône) à porter un projet culturel. 

Nous recrutons cette année une personne pour les privatisations d’espaces.

Notre économie repose aussi sur une part d’auto-financement. Nos recettes proviennent à deux tiers du bar et à un tiers de la billetterie. Dans les deux cas, nous appliquons une tarification qui reste en deçà de ce qui se pratique à Paris dans les salles de concert et les clubs. Nous ajoutons à cela des privatisations d’espaces, en particulier avec le milieu de la mode, qui nous rapportent environ 200 000 euros par an. Dans l’idée de développer davantage cette activité-là, nous recrutons d’ailleurs une personne à ce poste cette année - dans notre équipe qui comprend déjà une trentaine d’ETP (équivalents temps-plein) dont une vingtaine de CDI et CDD.

Quelle dynamique avez-vous retrouvé depuis la reprise,  en terme d’économie et de public ?

Nous allons accuser un déficit d’environ 125 000 € sur 2021 malgré les aides publiques liées à la crise sanitaire. L’arrêt de l’exploitation - et notamment du clubbing - a fait fondre nos recettes, inévitablement. Les événements que nous avons organisés depuis la réouverture de l’été 2021 n’ont pas été toujours bénéficiaires, notamment les mini-festivals que nous avons expérimentés sur nos nouveaux espaces extérieurs, un peu trop vastes pour le public escompté. Notre programmation de concerts et événements retrouve progressivement son public, notamment dans la dynamique d’ouverture au public de la nouvelle salle à Station Nord, mais c’est aussi le clubbing qui est reparti en force dès l’automne dernier et qui nous permet progressivement de rééquilibrer nos comptes.