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Théâtre : à Marseille, le Théâtre du Gymnase fait salle comble… dans des cafés

Par Thomas Corlin | Le | Diffusion, booking

À Marseille (Bouches-du-Rhône), une douzaine de bars ont accueilli une tournée locale de la comédienne Nicole Ferroni, invitée par le Théâtre du Gymnase, actuellement en travaux. Dominique Bluzet, directeur du réseau Les Théâtres qui a programmé l’opération, y voit une piste pour s’attirer un nouveau public, alors que ses salles accusent toujours une baisse de fréquentation.

La comédienne a joué sans soutien technique dans 12 bars de la ville. - © D.R.
La comédienne a joué sans soutien technique dans 12 bars de la ville. - © D.R.

Comment a pris forme le projet « Aller Vers » ? 

Plusieurs constats m’y ont mené. Tout d’abord, c’est connu, les théâtres ont perdu 20 à 30 % de leur public depuis la pandémie, le renouvellement est donc une urgence, nous nous devons d’aller chercher de nouveaux spectateurs issus d’autres générations et qui n’ont pas forcément dans leurs habitudes de mettre les pieds au théâtre. Il faut les débarrasser de leurs peurs de le faire, telles que « j’ai peur d’être coincé sur place », « je ne comprendrai rien au texte » ou « c’est trop cher ». Pour cela, il faut sortir de nos lieux, créer des situations dans des contextes atypiques. 

Ensuite, il me semble que nos métiers se diversifient, nous ne pouvons plus nous contenter de simplement mettre des spectateurs devant des spectacles dans des salles. Il nous incombe d’inventer de nouvelles rencontres avec les artistes : le podcast en est une, par exemple, et la programmation hors les murs aussi. Pour l’instant, les pouvoirs publics se penchent davantage sur le numérique dont nous ne connaissons pas encore l’efficacité, mais il faudra bientôt intégrer ces nouvelles façons de travailler.

Quelles formes en ont émergé et comment les avez-vous produites ?

« Aller vers » a pris la forme d’événements gratuits et de performances plutôt courtes, d’une heure maximum. Philippe Caubère a lu Alphonse Daudet dans des centres sociaux, Ariane Ascaride du Marcel Pagnol dans des églises, Josette Baïz a enseigné l’histoire de la danse dans des salles de classe et des musiciens ont joué dans des cours d’immeuble à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). L’opération en cours est un solo de 45 minutes de Nicole Ferroni intitulé « C’est ma tournée, je vous offre un vers » et prend place dans une douzaine de bars à Marseille. 

Nous ne pouvons plus nous contenter de simplement mettre des spectateurs devant des spectacles dans des salles.

C’est un spectacle que je lui ai commandé, modulable et adapté à des situations de bars, dans la tradition du café-théâtre, avant que celui-ci ne devienne simplement une autre forme de théâtre. Il mélange des vers de Rimbaud ou des textes d’IAM, et se joue des clichés marseillais. La comédienne est seule, avec un espace d’un mètre carré pour jouer, un micro, éventuellement une petite estrade, et se trouve en plein milieu du bar, parmi les clients. Il n’y a ni lumière ni décor, pas de soutien technique. 

Le Conseil Départemental nous a aidé financièrement afin de payer le cachet de Nicole Ferroni et la communication autour de l’événement, puisqu’il ne génère pas de billetterie. 

Comment se sont déroulées ces dates dans des cafés marseillais ?

Particulièrement bien, d’autant que Nicole Ferroni avait également communiqué sur ses propres réseaux sociaux et que les dates, prévues pour une centaine de personnes, en ont ramené jusqu’à 400 selon les lieux. 

Côté public, il s’agit de gens que nous n’avons pas l’habitude de voir dans nos salles, notamment des femmes quadragénaires. Les retours sont excellents et nous avons veillé à ce que l’événement soit signalé comme proposé par le Gymnase en distribuant des programmes et en organisant la circulation du public avec notre personnel. Il est impossible de dire si les gens qui ont écouté Nicole Ferroni dans ces lieux viendront plus tard chez nous, mais ils savent désormais que nous existons et que nous sommes accessibles.

De leur côté, les bars sont également satisfaits de l’opération, même si une certaine fluidité dans la circulation du public est à organiser. Dans certains cas, le public était si nombreux que les serveurs ne pouvaient même plus travailler, ce qui devient contre-productif puisque nous sommes accueillis notamment pour leur apporter davantage de clientèle. Nous incitions notre public à consommer, par respect envers l’établissement. 

Dans vos salles, la tendance à la baisse de la fréquentation se confirme-t-elle ?

Hélas oui, malgré quelques surprises. Le dernier spectacle de Jean-François Sivadier a joué trois semaines à guichets fermés avec une jauge de 100 places - et il est parfois tout aussi dur de remplir une salle de 100 que de 500, donc c’est pour nous une réussite. Un spectacle de cirque australien remplit facilement, là où nous n’attirons pour le moment que 500 personnes par soir dans une salle de 1 400 places pour un spectacle de Yoann Bourgeois - dans l’espoir qu’il se remplisse en dernière minute. Le public âgé de 75 à 80 ans n’est plus vraiment au rendez-vous non plus, même lorsque nous programmons des artistes très identifiés de leur génération.

Nous espérons raccrocher les wagons pour la campagne d’abonnements 2022-2023. Il semblerait pour l’instant que les gens préfèrent dépenser leur argent dans des voyages ou sortir dans des bars, plutôt que de retourner en salle.