« La configuration assise, dommageable à la pluralité artistique » (L. Philippe, Confort Moderne)
Par Thomas Corlin | Le | Diffusion, booking
Lieu artistique multi-disciplinaire, le Confort Moderne à Poitiers (Vienne) constate que les concerts assis imposés par la crise sanitaire vont à l’encontre de la diversité des esthétiques musicales. Son programmateur Laurent Philippe propose au cours de sa saison des solutions de résidences et d’installations sonores.
Le Confort Moderne ne propose qu’une poignée de concerts pour la saison à venir. Comment avez-vous approché la programmation de cette rentrée ?
Nous avons également maintenu une formule club en extérieur, mais ça nous a attiré des problèmes de voisinage.
Presque toute les options que j’avais posées pour septembre et octobre se sont annulées d’elles-mêmes : il s’agissait principalement de groupes étrangers dont les tourneurs ne parvenaient plus à monter de tournées viables. Courant avril, nous avions déjà arrêté de programmer de nouvelles dates pour nous concentrer sur les reports, que nous calions sur juin plutôt que sur septembre.
De manière générale, je fais attention à ne pas trop booker en avance et, cette année, quand il est apparu au fil de l’été que nous n’aurions toujours pas de visibilité sur la rentrée, je me suis laissé le possibilité de faire autre chose en septembre-octobre, de voir venir et d’éviter d’avoir des dates à annuler en fin de compte.
Les dates subsistant sont en partie celles qui sont co-programmées avec Jazz À Poitiers, une association qui travaille avec nous, ou avec le Théâtre Auditorium de Poitiers, puis quelques reports que nous avons pu honorer. Il s’agit de groupes qui y tenaient, qui ont adapté leur proposition, imaginé des ciné-concerts, des formes acoustiques. Notre salle peut accueillir 130 personnes en assis, dans une disposition qui permet à tous les spectateurs de bien voir.
Nous avons également maintenu une forme de programmation cet été, principalement parce que le lieu ne se résume pas à une salle de concert : nous avons un restaurant, une fanzinothèque, un espace d’exposition. Nous avons également maintenu quelques dates, notamment une formule club en extérieur. La jauge était réduite à 150 (alors que notre capacité est d’au moins 800), le format de 18h à 22h, mais ça nous a attiré des problèmes de voisinage.
Quelles alternatives avez vous mises en place pour compenser cette absence de programmation live ?
Assez vite, notre choix s’est tourné vers la survie des artistes et sur des événements dont nous pouvions avoir la certitude qu’ils se feraient, c’est à dire sans public. L’argent qui n’a pas été dépensé de mars à juin a été investi dans une série de résidences lancée dès le 24 juin. Nous avons transformé notre grand local de répétition dédié à la pratique amateur en lieu d’accueil pour les artistes. La salle de spectacle leur a également été ouverte, puisque aucun concert ne s’y tenait.
Le Confort Moderne peut se permettre ce type de réadaptation, c’est dans sa culture.
J’ai inclus dans la sélection d’artistes une moitié de locaux et une moitié de nationaux, surtout des groupes avec lesquels nous avions déjà collaboré. Des soirées « portes ouvertes » informelles ont été improvisées, sans les annoncer pour éviter les attroupements. Ainsi, le lieu était entièrement ouvert au public du mercredi au samedi, et les groupes se produisaient parfois sur scène, de façon impromptue, soit en continuant leurs répétitions, soit en improvisant un set court, et nous laissions le public y accéder. C’est une forme simple, qui laisse le public voir des artistes au travail, et c’était bénéfique pour les groupes.
Nous avons aussi imaginé des séances d’écoute avec un système son aménagé dans notre espace club. Des groupes comme Neurosis ou les Flaming Lips ont fait des albums à écouter simultanément, nous les avons diffusé ainsi. Nous avons aussi commandé aux artistes dont la pratique s’y prêtait des installations sonores, en parallèle des expositions d’art contemporain programmées dans le centre d’art du Confort Moderne.
Comment communiquez-vous sur ce type de saison ?
Le Confort Moderne peut se permettre ce type de réadaptation, c’est dans sa culture, mais aussi dans sa configuration : nous avons les équipements adéquats, nous avons des hébergements pour les résidences, et nous ne sommes pas qu’une salle de musiques actuelles. Nous ne dépendons pas non plus des recettes de notre billetterie. Je comprends bien que d’autres lieux ne puissent pas se permettre ce type de formule.
Cette programmation découle d’un choix délibéré : la configuration assise à laquelle les mesures sanitaires nous contraignent actuellement ne laisse la place qu’à une poignée d’esthétiques musicales. Cela pose un problème éthique : nous nous retrouvons à favoriser certains artistes et à en laisser d’autres sur le côté.
Les musiques électroniques, le rap, le métal se retrouvent encore défavorisés, alors que ce sont justement les courants musicaux qui ont le plus lutté pour accéder aux scènes officielles. Par ailleurs, comme tout lieu labellisé, le Confort Moderne se doit de respecter une pluralité artistique, cela figure dans nos missions, et la configuration assise nous en empêche. Nous envisageons néanmoins de faire du rap en assis, cela est peut-être possible pour quelques artistes.
Envisagez-vous déjà une programmation pour 2021 ?
Je ne programme plus de concert en debout tant que je n’en ai pas l’autorisation officielle. Booker des dates que je n’ai pas la garantie de pouvoir faire est trop décevant. Je comprends cependant que des producteurs fassent des offres même très en avance, comme pour la rentrée 2021 - ils ont besoin de visibilité.
J’accepte encore quelques reports sur 2021. Quand cela devient trop complexe, j’annule moi-même, soit en payant la session, soit en proposant de transformer la date en résidence si l’artiste est intéressé - récemment, le duo Acid Arab a accepté.