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Scènes publiques : inquiétudes pour les subventions ? quelles relations avec les élus après la crise ?

Par Thomas Corlin | Le | Organisations et réseaux professionnels

À la fin d’une année marquée par une crise sans précédent, les scènes publiques tirent les leçons de l’expérience et s’interrogent sur de nouvelles pratiques, comme la semestrialisation. Frédéric Maurin, co-président du Syndicat National des Scènes Publiques et directeur de l'Hectare à Vendôme (Loir-et-Cher), revient sur les problèmes de ses adhérents.

L’Hectare-Minotaure a reconduit sa marge budgétaire sur des répétitions dans sa salle principale. - © D.R.
L’Hectare-Minotaure a reconduit sa marge budgétaire sur des répétitions dans sa salle principale. - © D.R.

La fin d’année approchant, a-t-on une vision plus précise de l’impact de la crise sur le secteur public du spectacle ?

Nous sommes un secteur subventionné, qui devrait donc être capable de résister. Nous n’enregistrons pas pour l’instant de défaillance de lieux. Les scènes publiques ne devraient pas avoir trop de problèmes. Certains saisons culturelles mises en place par des intercommunalités rurales pourraient en revanche ne pas revoir le jour. 

Finalement, ce sont peut-être les équipes artistiques qui sont les plus mises en danger actuellement. Elles avaient déjà répété dans des conditions difficiles cette année, et le deuxième confinement est tombé en plein cœur de l’automne, quand 60 à 70 % des créations sont présentées. 

Nous n’enregistrons pas pour l’instant de défaillance de lieux.

Les perturbations de notre activité ont aussi engendré des irrégularités dans nos comptabilités. Nous sommes davantage habitués à gérer du déficit après représentations, et non de la marge. Avec les annulations de date, les frais d’hébergement, de transports et les coûts plateau ont baissé, même si de nouveaux frais sont apparus pour mettre en place le protocole sanitaire. Ainsi certains lieux auront un bilan excédentaire, et l’État examinera leurs comptes pour réorienter ces sommes. En ce qui concerne le réseau de lieux que je dirige, cette marge d’exploitation a été réinvestie dans du temps de répétition pour une compagnie de danse et une compagnie de théâtre, en collaboration avec Territoires Vendômois.

De façon plus générale, la santé psychologique des équipes est préoccupante, et les directeurs doivent être très attentifs à leur management. Le deuxième confinement a renforcé un sentiment d’insécurité, notamment chez les équipes artistiques qui craignent pour leur avenir à court terme. Il s’agit aussi de rassurer les personnels (vacataires, étudiants, ouvreurs, prestataires associatifs, etc) qui ont pour la plupart été au chômage technique. 

À quels effets positifs ou négatifs peut-on s’attendre sur le long terme ?

Nous redoutons une « excuse Covid » utilisée à tout bout de champ pour restreindre l’offre culturelle et les subventions en général. Un cas est remonté jusqu’à nous de directeur de théâtre auquel il est demandé un « protocole sanitaire ultra-protecteur » impossible à tenir, au point de sentir mis à mal par les pouvoirs publics qui le réclamaient. 

Nous veillons aussi à un éventuel chantage à la crise économique. Certes, pour la saison 2021-2022, les budgets vont être renouvelés pendant la période des élections régionales. Il serait étonnant que des élus s’aventurent à des coupes en pleine campagne. Par contre, nous pouvons avoir des doutes sur les années suivantes. 

Nous redoutons une « excuse Covid ».

Il faudra aussi être attentif aux théâtres de ville et autres lieux dépendant du droit public, auquel il peut facilement être reproché de soutenir un projet trop « exigeant et élitiste » et d’en baisser les aides. C’est la diversité artistique qui risque de faire les frais de la situation actuelle dans certains cas (hormis le réseau labellisé/conventionné). Des municipalités privilégieront le divertissement à la découverte artistique, la billetterie pourrait être renforcée dans les budgets des lieux, et des spectacles type danse contemporaine, qui font parfois 1 500 euros de recette pour un cout global de 7 000 euros, pourraient être écartés.

Il a aussi été remarqué que les théâtres et tourneurs issus du réseau de la gestion intéressée sont mieux servis, ou plus écoutés lors des réunions avec Matignon par exemple, que ceux issus du secteur subventionné, dont il est tout de suite considéré qu’ils sont hors de danger. Nous sommes tous dans le même écosystème et nous espérons aussi que le secteur privé ne gonflera pas les cachets de ses artistes têtes d’affiche pour compenser les pertes. 

Des effets positifs pourraient peut-être aussi en découler. Un espace de dialogue s’est ouvert entre tous les acteurs de la filière, parce que nous avons été exposés aux mêmes problèmes. Des théâtres de ville ont discuté avec des scènes labellisées, des réseaux régionaux se sont renforcés, des coopérations se sont enclenchées. 

Toutes ces contraintes ont aussi inspiré d’autres modes de fonctionnement, et certains pensent donc à une semestrialisation pour flexibiliser la programmation, par exemple. Les routings de tournées plus intelligents devraient aussi se banaliser. 

Répétitions à l’Hectare-Minotaure - © D.R.
Répétitions à l’Hectare-Minotaure - © D.R.

Deux lieux parmi vos adhérents - le Poc à Alfortville (Val-de-Marne) et La Méridienne à Lunéville (Meurthe-et-Moselle) - se sont trouvés en conflit avec leur municipalité qui remettait en cause leur projet artistique au point d’en changer la programmation. Vous avez depuis longtemps établi une charte à ce sujet, comment la faire respecter ? 

Cette charte est effectivement consultative, c’est un outil pédagogique. Cependant la loi sur la création artistique et le patrimoine de 2016 pose la liberté de programmation et de création comme un principe en soi, et c’est normalement opposable à une mairie. Bien sûr, dans les faits, c’est plus délicat. La pression que peut ressentir un directeur de lieu en CDI avec une carrière à développer pousse généralement à dialoguer et trouver des compromis. Le Ministère de la Culture a aussi un rôle à jouer pour éviter le conflit. 

Ce type de conflit est souvent le fruit d’inimitiés et de règlements de compte locaux.

Tout repose donc sur la pédagogie et le formation de l’élu. Il faut rappeler à la fois le rôle et les missions d’un lieu, expliquer aux élus qu’ils sont légitimes, mais que les professionnels qui dirigent ces lieux artistiques le sont aussi. Il faut aussi rappeler l’histoire de ces équipements artistiques et les convictions qui portent les politiques culturelles depuis Malraux.

Hélas, dans de nombreux cas, ce type de conflit est souvent le fruit d’inimitiés et de règlements de compte locaux, qu’aucune médiation ne saurait résoudre. Il peut aussi s’agir de clivages politiques discutables : de nouveaux élus veulent marquer la radicalité de leur action par un coup de pression à leur arrivée, en critiquant le contenu supposé « élitiste » d’une programmation, alors mêmes qu’ils n’ont jamais mis les pieds dans le théâtre qu’ils ciblent.