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Publics : comment le théâtre de la Faïencerie a repensé son ancrage territorial

Par Thomas Corlin | Le | Médiation

Le développement des publics, une affaire de volonté ? C’est en tout cas l’expérience qu’en tire Josephine Checco, nouvelle directrice de la scène conventionnée de Creil (Oise) La Faïencerie, dont elle a entièrement repensé l’orientation. Action culturelle, hors les murs, programmation : retour sur un virage à 180° en pleine pandémie.

Les poupées géantes de la compagnie Transe Express au festival Mosaïque. - © Francis Deschamps
Les poupées géantes de la compagnie Transe Express au festival Mosaïque. - © Francis Deschamps

Quelle était la ligne de la précédente direction du lieu et quelle orientation lui avez-vous choisie ? 

La Faïencerie est une Scène Conventionnée d’Intérêt National, dont l’axe était précédemment « arts et science ». Sa programmation était de qualité, pointue, peut-être un peu « parisienne ». Le projet était intéressant mais le public n’était plus au rendez-vous. Par ailleurs, le lieu accusait un sérieux déficit et trois postes manquants, dont un administrateur, ce qui aggravait son déséquilibre - aujourd’hui il ne reste plus qu’une seule personne à embaucher. 

Mon projet est clairement différent. Je suis partie des attributs du lieu et de son territoire. La Faïencerie est un ERP de première catégorie, une grosse bâtisse, avec une salle de 800 places, une autre de 2 000, une dernière avec des dimensions « studio », davantage réservée aux résidences d’artistes, mais aussi un cinéma et un restaurant. Creil est une ville de 40 000 habitants, la 8e la plus pauvre de France. Son agglomération mêle urbain et rural, avec tout un réseau de petits villages alentours. 50 % de ses habitants ont moins de 30 ans, dont une grosse tranche sous la barre de 20 ans, et nous comptons de nombreux parents isolés, surtout des mères. Le territoire offre aussi un riche patrimoine de lieux non dédiés dans lesquels nous avons fait jouer de petites formes : moulins, usines, grottes, champignonnière, et autres sites dédiés au travail de la pierre. 

J’ai donc choisi de réorienter le lieu sur l’axe « arts et territoire », et travailler avec le public, en particulier celui qui ne vient pas au théâtre. Je m’intéresse avant tout à ceux qui n’y sont jamais allés. 

Comment avez-vous traduit cela au niveau de la programmation ? 

Il y a tout d’abord une programmation régulière, que je m’efforce de remplir avec des spectacles occupant notre vaste grande scène de près de 25 mètres d’ouverture, comme du cirque ou du ballet. 

Je m’intéresse à ceux qui ne vont pas au théâtre.

Ce sont surtout trois festivals qui rythment désormais l’année, avec des objectifs variés. Mosaïque est un événement d’arts de rue qui se déploie sur quatre jours dans onze communes autour du dernier week-end de septembre, et qui donne désormais son identité au lieu. Nous avons par exemple fait jouer la grande installation du collectif Transe Express, une épopée comprenant un concert à 30m au-dessus du public, dans un quartier réputé très difficile de Creil, où la police n’osait paraît-il plus aller. La Préfecture était très méfiante, mais tout s’est finalement bien passé, tout le public du quartier s’est réuni, des jeunes aux poussettes. 

Les P’tites Tommettes ont lieu en février et s’adressent au très jeune public, c’est-à-dire les 0-5 ans, afin de créer un lien parents-enfants-artistes aussi tôt que possible. La première édition a eu lieu en version adaptée, pendant la pandémie, dans des crèches et des maternelles. 

Enfin, les Infaillibles se déroulent en mai et intègrent des adolescents au processus de programmation. Il s’agit de les situer dans un lieu culturel ainsi que dans leur ville, à la suite d’expériences que j’avais déjà menées dans le précédent théâtre que je dirigeais, à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise). Des critères, des codes, sont étudiés puis établis, un budget est fixé, une parité femmes/hommes est requise, des compagnies défilent, et les jeunes co-construisent une programmation avec l’équipe du théâtre. Diverses formes ont été retenues : un escape game, un tournoi de jeu vidéo sur grand écran, de la VR, des expériences participatives, comme le Bunker du collectif Lacavale. C’est une démarche qui s’étale sur une année complète, en fixant une commission d’une vingtaine de jeunes. 

Quels sont les premières retombées de ces nouvelles propositions ? 

Les P’tites Tommettes ont attiré 2 500 personnes de toute l’Oise, dont 90 % n’avaient jamais mis les pieds dans ce théâtre, ce que nous avons pu identifier grâce à nos informations en billetterie. Mosaïque a réuni 8 000 personnes ; l’événement était gratuit mais nous avions pu comptabiliser cela grâce au pass sanitaire qui était encore en vigueur à l’époque, y compris dans l’espace public. 

Ce travail s’est fait à la fois par la force de notre communication, mais surtout par un travail féroce d’action culturelle et de développement des publics, en collaboration avec de nombreux acteurs du territoire. Des élus sont aussi venus dans notre théâtre suivre une formation autour des politiques culturelles et de l’importance du jeune public.