Production

Musique contemporaine : renouveau confirmé du public au festival Musica à Strasbourg

Par Thomas Corlin | Le | Diffusion, booking

Après deux éditions relativement triomphantes en période de crise, le festival de musique contemporaine Musica à Strasbourg (du 25 septembre au 2 octobre 2022, Bas-Rhin) poursuit le renouvellement de son public, défi crucial de ce champ artistique. Stéphane Roth détaille sa politique de programmation et insiste sur la nécessité d’une mutualisation des moyens dans le secteur.

L’ensemble Daedalus interprétera « Discreet Music » de Brian Eno à Musica 2022. - © GMEA-CNCM-Albi
L’ensemble Daedalus interprétera « Discreet Music » de Brian Eno à Musica 2022. - © GMEA-CNCM-Albi

Situé en septembre, Musica fait partie des festivals qui ont le moins pâti des restrictions sanitaires. Quel bilan tirez-vous de l’édition 2021 et de l’année qui l’a suivie ? 

L’édition 2021 a eu la chance de se dérouler sans aucune annulation et aucun cas de covid dans notre équipe ni dans le public. Nos efforts ont donc payé. La fréquentation a été équivalente à celle de l’édition 2020 - une baisse de 30 % par rapport à la normale.  

Malgré cela, les dynamiques de renouvellement du public déjà enclenchées en 2019 se sont confirmées, comme nous l’avons observé grâce à nos outils (principalement la billetterie nominative, qui ne concerne pas tous les spectateurs, mais nous permet malgré tout de nombreuses déductions). Ainsi, en 2019, 65 % du public venait pour la première fois au festival, et cette tendance s’est confirmée en 2021, où ce chiffre a grimpé à 75 %. Parmi les spectateurs, 30 % ont moins de 28 ans, 30 % sont des retraités et le public se féminise davantage. Cette année, la billetterie a presque retrouvé son niveau d’avant-crise.

La branche jeune public de notre programmation a aussi participé à cette dynamique : nous avons relevé que les parents qui venaient avec leurs enfants se rendaient aussi à un spectacle individuellement ultérieurement. 

Nous relevons également que des gens viennent prendre des places un peu au hasard, ce qui est un signe fort. Au bout de trois ans, nous sommes satisfaits d’un tel bilan public. 

Comment avez-vous alors abordé la programmation de l’édition 2022 ? 

Notre public s’est tellement rajeuni que j’ai voulu conserver quelques signaux forts à l’adresse de notre public plus mature, en programmant quelques poids lourds de la musique contemporaine, ainsi que quelques grosses productions lyriques. Pour autant, je poursuis des expérimentations qui participent à la médiation auprès d’autres publics : cette année, des performances sonores pour une personne, de tailles et de natures variées, sont programmées dans une douzaine de lieux secrets de la ville. Le spectateur reçoit un créneau, une adresse et découvre la proposition sur place. 

Cette année, le festival s’exporte aussi, avec une branche à Nancy. C’est dans son ADN : Musica a voyagé par le passé, à Mulhouse, ou à l’étranger à Bâle, Bonn ou Rome. Cette année, sept projets seront présentés en partenariat avec des acteurs locaux, afin de casser les frontières régionales symboliques, et partager une façon de travailler et de programmer avec d’autres. 

Ces « frontières » se ressentent-elles habituellement au niveau de la coopération entre acteurs ? 

Pourrions-nous imaginer une coopérative qui rassemble musique contemporaine et musiques actuelles ?

Hélas oui, car tout le monde a un fantasme d’indépendance et le souci de singulariser l’identité de son projet. Or, l’époque est à la co-construction, à la concertation, mais je n’observe pas dans notre secteur le début d’une mutualisation des moyens - humains comme techniques. Nous aimerions développer davantage nos collaborations, comme avec le festival Ososphère à Strasbourg. 

Une structure de production commune ferait sens aujourd’hui, à la fois pour rédiger un cahier des charges commun, embaucher des permanents à partager entre plusieurs structures, et chercher du mécénat à plusieurs. Cela se fait dans l’Economie Sociale et Solidaire, pourquoi ne le ferions nous pas nous-mêmes davantage, au lieu d’attendre que certains disparaissent au profit des plus gros ? Pourrions-nous imaginer une coopérative qui rassemble musique contemporaine et musiques actuelles ? Je l’appelle de mes vœux. 

En interne, quelles traces a laissé la pandémie sur votre structure ? 

Au niveau des ressources humaines, je témoigne comme bien d’autres d’une grande difficulté de recrutement. Notre nouvelle chargée de communication vient par exemple de la production, car nous n’avions trouvé personne issu du champ de la communication. Il faut le reconnaître : après deux ans de chaos pandémique, travailler dans la culture ne fait plus rêver les jeunes, et j’en vois de moins en moins arriver dans la musique contemporaine. 

Ensuite, c’est au niveau du soutien public que les conséquences de la pandémie se ressentent. Pour l’an prochain, le Grand Est a annoncé une baisse de 10 % à 54 établissements et festivals dont le nôtre, et la ville une autre baisse de 1,5 à 2,5 %. Les OGC ont beaucoup souffert, et seule la SACEM a pu nous donner quelque chose cette année - d’autres structures n’ont même pas eu cette chance. Nous entamons donc un grand renforcement de notre politique de mécénat, et nous attendons peut-être à réduire le calendrier de l’édition 2023.