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Festivals d’été : belle édition post-crise aux Heures Musicales de l’Abbaye de Lessay

Par Thomas Corlin | Le | Diffusion, booking

Le festival les Heures Musicales de l’Abbaye de Lessay (Manche) a retrouvé son affluence d’avant-crise. Entrée en poste depuis peu, la coordinatrice artistique Joëlle Petrasek observe des nuances dans les dynamiques du public et relève l’urgence de soutenir davantage le circuit classique sur les années à venir.

Le concert d’ouverture « La Tempête » dirigé par Simon-Pierre Bestion - © Heures Musicales de l’Abbaye de Lessay
Le concert d’ouverture « La Tempête » dirigé par Simon-Pierre Bestion - © Heures Musicales de l’Abbaye de Lessay

Comment s’est comporté votre public lors de cette édition 2022 ?

Sur les huit concerts que nous avons programmés cet été, trois se sont déroulés à guichet fermé, ce qui est le signe d’un vrai retour de notre public. Nos éditions pendant la pandémie ont rassemblé 2 200 à 2 500 personnes, et nous sommes maintenant remontés à plus de 3 500. L’appétit du public a redoublé, et les conditions météorologiques de cet été ont probablement favorisé cet enthousiasme. Une grande partie du public s’est présentée dès l’ouverture des portes de nos soirées, soit deux heures avant les concerts, pour partager des moments de convivialité avec les artistes - c’est un autre signe de grande adhésion. 

J’ai aussi observé cette année la présence d’un public plus familial. Il y avait davantage d’enfants et de jeunes dans l’Abbaye, ce qui est peut-être dû à de nouvelles habitudes de vacances - les familles partent moins à l’étranger. 

Cela s’est-il traduit dans les dynamiques de billetterie ?

Oui, nous sommes à l’équilibre, notamment parce que nous avons été prudents. Nous ne pouvions prédire le comportement du public dans l’après-pandémie, nous avons donc investi à hauteur d’estimations raisonnables en termes d’affluence. Par le passé, l’Abbaye a pu recevoir jusqu’à 900 personnes avec des écrans à l’extérieur, mais nous n’avons pas tablé là-dessus. 

Il n’y a pas eu de rupture avec notre public pendant la crise.

Ce succès est aussi à mettre sur le compte du maintien du festival pendant la pandémie : il n’y a pas eu de rupture avec nos spectateurs, le lien a été maintenu coûte que coûte malgré les restrictions, tous les artistes ont joué (seule une annulation d’un groupe anglais a été recensée), et cela compte beaucoup.

Sur quel modèle économique fonctionne le festival ?

Nous avons le soutien du ministère, de la DRAC, de la région, du département, de la ville et de la communauté de communes. Pour autant, nous fonctionnons sur équilibre assez paritaire entre un tiers de financements publics, un tiers de billetterie, et un tiers de mécénat - que nous développons toujours davantage.

Avez-vous été exposé aux difficultés logistiques liées au manque de main d’œuvre ?

Par chance, non, et c’est grâce au grand dynamisme de notre équipe de techniciens et régisseurs locaux, qui circulent sur plusieurs festivals du territoire, dont le classique n’est pourtant pas forcément le domaine de compétence habituel. Les Heures Musicales de l’Abbaye de Lessay ont la particularité d’être organisées dans un lieu de culte qui maintient son service pendant le festival : la scène est montée le jour du concert, puis démontée à l’issue du concert. Des formations qui peuvent parfois atteindre cinquante musiciens répètent et jouent dans l’après-midi, et il n’y en a plus de trace le lendemain, c’est une prouesse assez virtuose.

Dans quel état d’esprit s’est relancé le secteur du classique d’après ce que vous en avez observé ?

Il y a eu une grande souffrance dans le classique, et nous avons pu en témoigner, étant parmi les quelques événements à se maintenir dans ces conditions. Les diffuseurs et attachés de production étaient aussi en peine, certains se sont d’ailleurs détournés du métier, mais ceux qui sont encore là sont d’autant plus heureux de nous proposer des projets sur les années à venir. L’État a été très généreux en matière d’aides, mais nos partenaires devront peut-être redoubler d’efforts pour rattraper les dommages engendrés par la crise sur les saisons qui s’annoncent. 

L’enjeu d’un festival comme le nôtre ne se situe par qu’au niveau musical. Bien sûr, faire exister des partitions du XVIe siècle dans une abbaye millénaire est notre mission, et fréquenter ce répertoire dans un lieu d’exception, en plein été, n’a pas le même sens que le reste de l’année. Mais le cadre dans lequel sont implantées les Heures Musicales de l’Abbaye de Lessay leur donne aussi un sens d’ordre environnemental : notre territoire est une presqu’île entourée de dunes en cours d’effondrement, que menace la montée des eaux. C’est également à ce titre qu’il est important de soutenir le festival, qui fêtera l’an prochain ses trente ans.