Festival Ensemble(s) : « La crise remet enfin en cause l’écosystème du contemporain » (P. Hurel)
Par Thomas Corlin | Le | Diffusion, booking
Comment la culture fait-elle face aux incertitudes autour de la crise de la Covid-19 ? Réponses du côté de la musique classique avec le compositeur de musique contemporaine Philippe Hurel, qui dirige l'Ensemble Court-Circuit et le Festival Ensemble(s) dont la première édition se tiendra du 11 au 13 septembre 2020 au Pan Piper à Paris (11e).
Comment l’Ensemble Court-Circuit a-t-il été affecté par la crise sanitaire ?
Le montage financier doit être entièrement repris à chaque nouvelle création.
L’ensemble fête cette année ses 30 ans et la saison s’annonçait bien avec des concerts en France et à l’étranger. Les sept dates que nous devions jouer ont été annulées, pas même reportées, ce qui est beaucoup pour un ensemble comme le nôtre. Nos membres jouent également dans d’autres configurations dans un registre plus classique, et ces dates-là ont aussi été annulées. Cela fait donc cinq mois que nous ne jouons plus de musique sous aucune forme. La musique devient une abstraction dans une telle période d’inactivité. Il a été envisagé d’enregistrer la première d’une de nos créations pour la diffuser en ligne, mais finalement cela a été abandonné.
Nous avons remonté une saison complète, réinventé des concerts entiers. Certains lieux ou festivals ne sont intéressés que par un certain répertoire, et non par toutes les pièces qui ont été répétées, mais nous ne voulions pas abandonner des créations déjà travaillées, parfois d’une grande complexité : nous sommes arrivés à les placer malgré tout. La production de concerts contemporains est très complexe à mettre sur pied, l’aide de l’État ne suffit jamais, il faut trouver des moyens ailleurs pour compléter le financement. Ainsi, le montage financier doit être entièrement repris à chaque nouvelle création.
Le confinement a-t-il été propice à la composition ?
J’ai perdu des droits d’auteur et je n’ai pas fait un certain nombre de concerts en tant que compositeur. Néanmoins, j’ai continué à composer et les commandes n’ont pas cessé - je viens par exemple de finir une pièce que m’avait commandée la Philharmonie. Une création pour la radio a été repoussée de deux ans. Dans l’ensemble, mes commandes ont été maintenues et je ne m’en plains pas.
J’ai aussi composé une pièce pour les Percussions de Strasbourg, une commande pour le Théâtre Mariinsky de Saint Pétersbourg en Russie. L’enregistrement a donc été envoyé au théâtre, et j’ai commenté la pièce en vidéo. Bon gré mal gré, j’ai pris l’habitude de travailler désormais comme cela.
Le festival Ensemble(s) se tiendra bel et bien à Paris. Comment avez-vous procédé pour le maintenir ?
Certaines des personnes de notre staff travaillent presque uniquement sur les aspects sanitaires et administratifs du festival. C’est d’une complexité infinie, avec des règles qui changent constamment. Nous avons pensé à annuler, bien sûr, mais c’est un festival dont l’idée germe depuis 2012, et c’était important qu’il ait lieu.
Nous avons espoir que le public soit au rendez-vous, d’autant qu’il n’y a pas une grande offre de classique contemporain à Paris à la rentrée.
Il est né du constat qu’il devient de plus en plus compliqué d’obtenir des moyens pour faire vivre la musique contemporaine classique, et notamment de jouer dans nos configurations maximales, à savoir à 18 musiciens dans le cas de Court-Circuit. Nous avons donc mutualisé nos moyens avec cinq autres ensembles et construit ce festival, qui se tient dans un lieu (le Pan Piper, à Paris) qui n’est pas identifié en tant que salle de « classique ».
Nous voulons que le festival soit convivial, qu’il soit possible d’y boire des coups, qu’il y ait une ambiance, ce que manque parfois dans le classique. Nous ne sommes pas sûrs d’y arriver avec les restrictions sanitaires - la limite de jauge pour la rentrée n’est pas encore connue. Nous avons espoir que le public du classique contemporain soit au rendez-vous, d’autant qu’à l’exception du festival Manifeste de l’IRCAM qui se maintient sous une forme réduite, il n’y a pas une grande offre de classique contemporain à Paris à la rentrée. Nous nous attendons cependant à essuyer les plâtres en matière d’organisation d’événement culturel en temps de crise sanitaire.
Comment le secteur du classique se comporte pendant la crise ?
La période est très angoissante, très triste. Depuis dix ans, le secteur du classique contemporain accusait déjà une dégradation de ses conditions, un manque de moyen grandissant. Avec l’arrêt des concerts, beaucoup de musiciens freelance se retrouvent sans aucun revenu, et c’est très grave. Les jeunes sont les plus touchés, y compris les compositeurs dont les commandes n’ont pas toujours été maintenues.
La période a permis néanmoins de remettre ouvertement en cause l’écosystème de notre métier. Alors que la jeune création manque cruellement de moyens, on continue à payer certaines stars très cher pour une seule soirée avec de l’argent public, et ce n’est plus envisageable.
Nous espérons aussi que l’État nous mettra moins la pression sur les exigences sanitaires. Le public du classique contemporain se tient bien, et respectera les consignes, mais nous sommes toujours contraints à des réductions de jauge et des règles intenables, alors même que des événements de masse se tiennent normalement. La Profedim et la Fevis ont été d’un grand soutien pendant cette période, notamment en matière d’information. Ces organisations se sont battues pour que des musiciens en détresse puissent tout simplement manger.