Production

Avignon Off : à l’Espace Roseau, une belle édition malgré les pertes financières

Par Thomas Corlin | Le | Diffusion, booking

Par la force de la solidarité et grâce à un emplacement privilégié dans la ville, l'Espace Roseau a connu une belle édition 2021 dans le Off d’Avignon. Ce bilan positif n’efface pas une dette de 80 000 euros cumulée depuis le début de la crise, d’après sa directrice Marie Broche.

« 80 % du public venait par bouche à oreille cette année » - © D.R.
« 80 % du public venait par bouche à oreille cette année » - © D.R.

Quel a été le comportement du public dans votre théâtre au cours de cette édition 2021 ? 

Une de nos compagnies n’a même pas eu à demander la compensation de recettes post-pass sanitaire.

En comparaison avec ce que certains lieux ont connu, notre fréquentation a été satisfaisante, avec certains spectacles qui ont fait salle comble. Le pass sanitaire a provoqué une réelle baisse sur presque tous les spectacles, mais les ventes sont progressivement reparties à la hausse. Nos compagnies ont redoublé d’efforts pour communiquer, avec de véritables parades pour aller tracter. Selon des sondages que l’on faisait dans le public, environ 80 % était venu par bouche-à-oreille. 

Les réservations étaient souvent faibles mais au final les salles se remplissaient, ce qui dénote une attitude particulière du public. En dehors de l’énorme travail fourni, ce qui a joué en notre faveur est probablement d’être situé dans une sorte de triangle d’or sur la rue des Teinturiers. C’est un endroit de passage, avec quelques lieux assez identifiés par le public. Hors de ce périmètre, les rues me semblaient vides pendant le mois de juillet. 

C’est un public d’habitués, de passionnés, qui s’est rendu au festival. Beaucoup d’entre eux avaient prévu un programme très chargé, sur moins de jours que d’habitude, ne laissant aucune place à des découvertes sur place. Puisqu’il s’agit souvent d’un public de plus de cinquante ou soixante ans, la plupart étaient déjà vaccinés, ce qui a facilité l’application du pass sanitaire. D’autres ont néanmoins rencontré de nombreux problèmes à cause de ce pass, certains annulant même leur voyage - alors même que l’hôtellerie locale avait annoncé qu’aucun remboursement ne serait accordé cette année. Le public familial n’est pas venu à Avignon, ni les curieux qui se rendent parfois au festival à l’improviste.

Le lieu a appliqué le pass sanitaire et n’a pas réduit ses jauges à 49 places.  - © D.R.
Le lieu a appliqué le pass sanitaire et n’a pas réduit ses jauges à 49 places. - © D.R.

Avez-vous contourné le pass sanitaire avec des jauges à moins de 50 personnes ? 

Non, cela nous était impossible. En jauge pleine, la première salle accueille jusqu’à 165 spectateurs, l’autre 90. Au fil de la crise et de l’évolution des conditions d’ouverture au public, nous avons constamment consulté les compagnies qui jouaient chez nous, et toutes se sont accordées sur une limite de 70 % de jauge au-dessous de laquelle il leur était impossible économiquement de participer au festival. En dessous, nous aurions dû fermer les portes du théâtre. 

Avec quelle perspective économique vous êtes-vous engagés dans cette édition ? 

Nous fonctionnons sur une structure associative, ce qui m’empêche de me verser un salaire - c’est mon activité de cours de théâtre (qui est hébergée dans une des deux salles) qui m’assure un statut d’intermittence, et je travaille donc bénévolement pour le théâtre. Au fil de la crise, les critères d’aide ont changé, et nous avons donc été privés de certaines aides, montant jusqu’à 10 000 euros, uniquement parce que je ne me versais pas de salaire. À cela s’ajoute les frais liés au protocole sanitaire, de près de 25 000 euros : extracteur d’air, gel, équipe de nettoyage, etc. Nous avons engrangé au total une dette de 80 000 euros - et ce malgré un bilan plutôt positif du festival en lui-même. 

Des amis et des membres de la famille ont donné des coups de main de manière bénévole - sans eux, nous ne sommes pas sûrs que nous aurions pu mener à bien cette édition périlleuse.

Après avoir déménagé 11 fois depuis 1983, l’Espace Roseau est devenu propriétaire en 2016 du lieu que nous occupons depuis - dont nous remboursons toujours le crédit. C’est principalement la location de créneaux pendant le festival qui finance notre lieu - un modèle souvent décrié à Avignon. Nous sommes transparents sur ce sujet auprès des compagnies, avec lesquelles nous entretenons des relations très proches. L’an dernier, les compagnies ne s’étaient pas fait rembourser leurs créneaux, et nous leur avons fait des avoirs - l’une d’entre elle a même proposé de louer un créneau supplémentaire en cas de besoin. Pour respecter les limitations, nous n’avons loué que sept créneaux au lieu de neuf.

Cette année, nous avons fonctionné avec une équipe d’accueil minimale, sans rien sacrifier aux conditions d’accueil dans des conditions complexes puisqu’il ne fallait pas créer d’attroupement dans la rue des Teinturiers. Les effectifs sont restés les mêmes en régie, ce n’était techniquement pas envisageable de les réduire. Des amis et des membres de la famille ont donné des coups de main de manière bénévole - sans eux, nous ne sommes pas sûrs que nous aurions pu mener à bien cette édition périlleuse. 

Le lieu a touché plusieurs aides, et nous avons contracté un Prêt Garanti par l’État. Les compagnies ont toutes demandé la compensation de recettes post-application du pass sanitaire - sauf une, notre créneau de 21h30, dont la fréquentation n’a cessé d’augmenter au fil du festival, même malgré le pass sanitaire.