RH : plus de postes pour moins d’intermittents et moins de moyens, constate Michel Bosseau (Issoudun)
Par Thomas Corlin | Le | Rh, formation, intermittence
Si la pénurie de main d’œuvre dans le spectacle vivant joue en la faveur des nouveaux venus sur le marché de l’intermittence, celle-ci les projette dans une économie plus tendue que jamais, entre manque de moyens et surplus de productions. Directeur des Formations d’Issoudun (Indre), Michel Bosseau témoigne d’une nouvelle équation complexe pour le secteur après la crise.
Alors que l’activité a repris en surabondance, le secteur accuse une pénurie de main d’œuvre. En connait-on déjà l’ampleur ?
De vraies statistiques manquent, et elles émergeront probablement après coup, mais quelques estimations circulent déjà dans le secteur. De manière générale, l’emploi intermittent accuse une baisse de 4 % dans le spectacle vivant - qui recouvre des domaines et donc des réalités très diverses.
Si nous parlons de la musique en particulier, la pénurie est plus aigüe. Certains professionnels estiment qu’environ 20 % du personnel a quitté le secteur pour en rejoindre d’autres, plus sûrs, comme l’audiovisuel, qui n’a jamais été aussi florissant. Le confinement et l’arrêt des concerts ont donc éloigné, peut-être irrémédiablement, une part conséquente des effectifs de la musique.
Par conséquent, oui, il y a du travail, et nos apprentis se font facilement embaucher, mais dans des conditions souvent dégradées.
Si le spectacle vivant se relance aussi bien, qu’est ce qui coince au niveau des ressources humaines ?
Une équation pernicieuse se dessine : la reprise précipite de nombreuses productions sur la route, ce qui génère un surplus de flux, et de plus en plus d’artistes même encore en développement souhaitent tourner avec tout ou partie de leur production, y compris sur des festivals déjà équipés. Ceci génère logiquement un surplus de travail, alors que le secteur a perdu en personnel. Par ailleurs, même s’il l’on entend souvent qu’il a conservé sa santé financière, les économies sont bien plus fragiles qu’avant, et les spectacles se montent sur des budgets bien plus serrés. À cela s’ajoute une baisse préoccupante du public, que l’été devrait confirmer ou non.
Comment cela affecte-t-il les conditions de travail du milieu ?
La musique aurait perdu 20 % de son personnel depuis la crise
Les pénuries s’observent à tous les postes : administrateurs, riggers (chargés d’accrochage en hauteur), bookeurs, sonorisateurs, etc. Depuis février, les personnes en poste, pourtant aguerries, sont débordées de travail, les préparations sont plus compliquées et la pression est à son comble - les burn outs se multiplient. Nous ne sommes que fin mai et certains se demandent déjà comment ils vont tenir jusqu’à la fin de l’année. La pression sur ces métiers se révèle davantage chaque jour : par exemple, un régisseur dans une salle de 800 places peut recevoir une centaine de mails par jour, le temps manque simplement pour tout traiter.
Côté matériel, les exigences techniques ne cessent de croître et les besoins poussent parfois à en commander aussi loin qu’en Thaïlande ou en Europe de l’Est, et pas seulement pour des productions internationales. Certains festivals ont choisi de réduire la taille de leur scène pour être sûr de ne pas manquer d’éléments, ce qui nécessite alors d’adapter les fiches techniques et d’alourdir le travail des régisseurs.
Quel est l’impact économique de cette nouvelle pression sur ces métiers ?
Les salaires étaient déjà en baisse depuis 20 ans et la tendance se confirme, inévitablement. Il faut noter cependant qu’il y a des disparités au sein du secteur musical même : le live n’est pas à la même enseigne que la musique enregistrée. J’ai pu constater de ces disparités en collectant la nouvelle taxe formation auprès d’une bonne centaine de sociétés. Celle-ci représente 0,09 % de leur masse salariale : dans la musique enregistrée et l’édition, depuis 2019, les sommes n’ont pas baissé, elles ont même parfois augmenté. Dans la production de spectacle, les contributions ont chuté de 50 à 70 %, voire plus. J’entends souvent dire que les sociétés de production de spectacle ont conservé leur chiffre d’affaires, mais ce n’est vraiment pas le cas pour toutes, il y a de grandes disparités, selon qu’il s’agisse de musique, de scène, d’entreprises publiques ou privées.
Les risques aussi sont plus grands : aujourd’hui, des tournées s’annulent à la dernière minute faute d’embauche. C’est-à-dire que des spectacles entièrement créés, sur lesquels des sociétés ont investis, ne peuvent être exploités commercialement faute de personnel et d’équipement technique. Une tournée peut s’annuler parce qu’il manque un éclairagiste. Les conséquences de ces annulations ne pourront sans doute se calculer que l’année prochaine. L’été qui se profile nous permettra d’ici là de mieux apprécier la situation dès la rentrée de septembre.