Intermittence : une sortie d’année blanche alambiquée et déséquilibrée selon la CGT
Par Thomas Corlin | Le | Rh, formation, intermittence
Suite au rapport Gauron préconisant différentes sorties de l’année blanche pour les intermittents, le gouvernement a opté pour une série de mesures et d’exceptions, décortiquées par la CGT Spectacle dans un tableau complet . Son secrétaire général Denis Gravouil relève certaines anomalies de ce dispositif, et quelques craintes sur la période à venir.
Que retenez-vous des mesures choisies par le gouvernement pour sortir de l’année blanche ?
Nous aurions souhaité un dispositif plus simple et plus juste. C’est une usine à gaz, qui donne lieu à beaucoup d’incohérences et s’avère difficile à déchiffrer. La multiplication des cas de figure et des mesures de rattrapage complique une situation déjà délicate. Le rapport Gauron proposait plusieurs solutions, le gouvernement en a suivi certaines, mais il y a des trous dans la raquette.
Pôle Emploi devra gérer une masse inédite de dossiers d’un seul coup, début 2022.
Pôle Emploi se dit prêt à gérer cette masse administrative, mais à vue de nez, cela semble périlleux. Normalement, les dates d’anniversaire de réexamen s’échelonnent sur toute l’année, et permettent à leurs agents d’écouler harmonieusement les dossiers. Là, du fait de l’année blanche, 90 % des intermittents seront alignés et leurs cas devront être traités en même temps, en janvier 2022. Environ 10 % auront peut-être opté pour un ré-examen anticipé, dit « réexamen express », mais cela laisse au moins 90 000 dossiers à faire passer d’un coup, selon une estimation basse. Actuellement, nous comptons environ 115 000 intermittents indemnisés, contrairement au chiffre de 250 000 qui circule souvent et intègre des personnes non indemnisées et/ou qui ne font qu’un contrat ponctuel dans le spectacle (comme de la figuration).
Quelles sont les incohérences que vous avez repérées dans ces mesures ?
Tout d’abord, de nombreux taux journaliers seront revus sérieusement à la baisse. Les intermittents qui ont quand même pu boucler leur année, et il y en a un certain nombre, l’ont fait sur des productions parfois moins rémunératrices, ou sur un nombre de cachets nécessairement inférieur à ce qu’ils auraient pu faire sur une année normale, et cela impactera leur indemnisation sur un an.
Enfin, il existe une mesure (la clause de rattrapage) permettant de bénéficier de six mois de droits, à condition d’avoir cumulé 338 heures (avec possibilité de prendre les heures qui n’ont pas été comptabilisées sur 2019 et 2020, puisque l’année blanche a tout lissé), ce qui ne laisse que six mois pour trouver d’autres dates et compléter ses heures et renouveler son indemnisation l’année suivante. Dans d’autres cas, il est possible d’intégrer des contrats effectués hors intermittence, donnant lieu à des droits en régime général, mais cela peut générer des allocations très faibles (seulement quelques euros par jour), en raison par exemple d’un CDD à temps partiel comme enseignant de conservatoire. Or, si aucune condition n’est remplie (en clause de rattrapage ou régime général), un autre dispositif, dit « l’Allocation de Professionnalisation et de Solidarité », payé directement par l’État et non par l’Unedic, donne accès à un an complet de droits au taux minimum. C’est manifestement absurde.
Parmi d’autres anomalies, il faut signaler qu’en cas d’insuffisance, Pôle Emploi ne remontera dans les heures non comptées sur 2019 et 2020 que pour atteindre les 507 heures nécessaires à la reconduite du statut, et pas plus. Or, ces heures abandonnées auraient pu permettre un calcul de taux plus élevé. Ainsi, de très nombreux intermittents resteront à l’allocation plancher, de 44 euros pour les artistes et 38 euros pour les techniciens.
Quelles sont vos craintes en cette reprise très disparate ?
La réalité de cette reprise n’est pas du tout la même selon les champs artistiques. En audiovisuel, dans le cinéma, certaines équipes ont presque du mal à être constituées, selon nos retours. Dans le théâtre, en musique, ce n’est pas la même chose, notamment du fait des embouteillages de projets créés à diffuser sur la saison.
Si elle se confirme, la baisse de fréquentation dans certains lieux pourrait-elle impacter les emplois ?
Il y a aussi une certaine inquiétude sur le retour timide des publics, parfois préoccupant selon les lieux. Si cette baisse de fréquentation venait à se confirmer, cela remettra-t-il en cause, à terme, les dotations de certaines typologies de lieux, et donc possiblement impacter leur volume d’emploi ?
Enfin, nous nous interrogeons sur le bien-fondé du Pass Culture, qui mobilise 250 millions d’euros du budget de la Culture, ce qui se fait au détriment d’une indispensable médiation. L’idée était de conduire les jeunes vers des habitudes culturelles qu’ils n’ont pas forcément, mais l’enveloppe du Pass est le plus souvent dépensée sur des produits déjà très identifiés, profitant ainsi au circuit privé, plutôt des grands groupes, qu’à la diversité.