« La musique reste un petit commerce » (F. Ladeiro-Marques, MaMA)
Par Thomas Corlin | Le | Organisations et réseaux professionnels
Rendez-vous référence du secteur musical, le MaMA Festival sera réservé aux seuls professionnels cette année, et se déploiera du 14 au 16 octobre prochain sur un nombre réduit de salles dans le périmètre de Pigalle à Paris (9e, 18e). Le point sur cette édition spéciale avec son directeur Fernando Ladeiro-Marques.
Comment aborde-t-on la programmation d’un grand rendez-vous pro du secteur musical, à l’heure où le métier est empêché par une crise sans précédent ?
Nous sommes partis du principe qu’il fallait d’abord informer précisément tout le monde sur ce qu’il s’est vraiment passé, sur l’impact de cette situation dans le détail, et sortir des rumeurs et des fantasmes. La Convention (le volet conférences de l’événement) commencera donc par des bilans chiffrés de la crise, le 14 octobre au niveau national avec le CNM, et le 15 octobre à l’international avec des intervenants étrangers.
Les deux tiers des rencontres programmées tourneront autour de la Covid-19.
Les deux tiers des rencontres programmées tourneront autour de la Covid-19, c’est inévitable. Il sera question des nouvelles pratiques vers lesquelles ces situations nous ont orienté, mais aussi des perspectives sur nos métiers. Même quand la crise actuelle ne sera pas explicitement le sujet d’une rencontre, elle refera surface, comme quand nous abordons la question de la santé mentale dans le milieu - le psychisme des artistes est mis à l’épreuve actuellement, surtout pour les équipes les émergentes dont les projets sont totalement remis en cause actuellement.
Enfin, nous aurions renoncé à organiser l’événement si nous avions été contraints à le faire virtuellement. Une grande partie du MaMA consiste à déambuler entre les conférences, à faire des rencontres, à échanger entre pros, ce qui n’a jamais autant manqué dans le milieu. L’événement se devait d’être physique.
Parmi les pratiques qui ont été renforcées par la crise sanitaire se trouve le concert en ligne, qui divise le milieu. Comment l’abordez-vous dans vos conférences ?
Dans le cadre de Mama Invent, il sera question de savoir comment monétiser le livestream si il vient à se pérenniser
Il est reproché au livestream d’habituer les gens à la gratuité de la musique. On leur amène des choses directement chez eux, et ça dévaluerait l’expérience live. Au début tout le monde trouvait ça bien, puis par accumulation les défauts du support sont apparus. Pourtant, on ne peut pas empêcher les artistes d’utiliser tous les moyens disponibles pour garder du lien avec leur public.
Le 14 octobre, avec l’IRMA et d’autres invités, nous proposons d’explorer les diverses innovations dans le domaine, si ce format peut participer sur le long terme à une offre musicale plus globale, à travers, par exemple, une ligne de concerts dans des contextes insolites. Puis, le 15 octobre dans le cadre de Mama Invent, il sera question de savoir comment monétiser ces concerts si ils viennent à se pérenniser.
Quels sont les métiers de la musique les plus en danger ?
Inévitablement, ceux liés aux concerts : les maisons de production, certaines salles, les loueurs de matériel et bien sûr les artistes. Quoiqu’on en dise, certaines choses ne peuvent pas se « réinventer », comme le cycle de lancement d’un disque, avec de la promotion en physique et une tournée des salles et des festivals ensuite. L’édition ou la musique enregistrée souffrent moins, de fait.
Nous sommes parvenus à maintenir une visibilité à toutes les esthétiques malgré ces contraintes.
À l’exception de deux ou trois poids lourds, la musique demeure un petit commerce, et ses acteurs sont très fragiles. Une petite structure indépendante ne peut pas tenir bien longtemps sans rentrée d’argent, et ce avec ou sans aide. Une lame de fond comme celle de la pandémie remet donc durablement en cause notre écosystème.
Pour autant, nous refusons de nous morfondre et essayons de trouver des angles positifs pour traiter la situation. À travers un événement comme le nôtre, c’est aussi l’ambition de fédérer le milieu pour, à terme, parler d’une seule voix aux pouvoirs publics. Par exemple, quand la restauration est en danger, le secteur envoie trois chefs étoilés à l’Elysée et ils obtiennent des solutions. La musique ne dispose pas de cette arme.
Le MaMA c’est aussi des concerts. Vous arrivez à en maintenir 83. Comment s’est composé cette affiche ?
Certaines des salles dans lesquelles se tient chaque année le MaMA n’étaient pas adaptables à la configuration assise, comme le Bus Palladium. Nous avons donc réduit notre capacité d’accueil pour les concerts, et le nombre de concerts eux-mêmes. Cette année, hélas, le festival est réservé aux professionnels. Habituellement, le MaMA, c’est 6 300 pros et 5 000 spectateurs, et nous ne pouvons pas gérer 11 000 personnes dans ces conditions.
Les artistes joueront donc devant des professionnels assis, ce qui n’est pas une condition idéale. Malgré tout, il était important qu’ils puissent montrer leur travail à des professionnels, et c’était le seul moyen pour que cela puisse avoir lieu. Nous sommes parvenus à maintenir une visibilité à toutes les esthétiques malgré ces contraintes.